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les deux royaumes de la Péninsule, l’épuisement des convictions, l’absence des volontés publiques, se joignent à l’intempérance des imaginations et au dérèglement des désirs individuels. Au bruit d’une crise en Espagne, tous les hommes épars en Portugal que rapprochent la cupidité ou l’ambition, se réunissent dans une même espérance et parviennent à se créer un but commun. Ils entreprennent, et rencontrent rarement quelque résistance. Chacun est préparé aux crises ; les uns se proclament vainqueurs, les autres se reconnaissent vaincus.

Il est cependant des révolutions dont les motifs ne furent pas aussi frivoles, et celle de 1820, encouragée par les troubles de l’île de Léon, aurait éclaté sans cette insurrection. Deux causes récentes provoquaient un mouvement en Portugal. La nation ne pouvait se résigner à demeurer plus long-temps colonie du Brésil où continuait à résider le roi, et vassale de l’Angleterre, qui dominait par l’épée de lord Beresford. L’armée surtout était impatiente du joug, et plusieurs officiers avaient été déjà victimes de leur généreux patriotisme[1]. Mais un mal plus profond, la misère, dévorait la société portugaise. Certes, il n’y aurait pas eu lieu de s’étonner si les Portugais, humiliés, délaissés, eussent poussé d’eux-mêmes un cri de liberté et tenté de relever de leurs propres mains l’antique édifice de la gloire nationale ; toutefois, ils s’insurgèrent par un motif plus modeste. « C’est, dit le manifeste du gouvernement provisoire, par le droit qu’ont les hommes de lutter contre le malheur. » Qui le croirait ? c’est en partie par amour de l’adorable maison de Bragance, selon l’expression de la proclamation de Porto, que se fit cette révolution si démocratique, qui refusa au roi jusqu’au veto suspensif. Il faut se reporter aux idées de 1820. Le mot vague de cortès n’avait rien, en Portugal, d’hostile à la royauté ; il rappelait les plus éclatans souvenirs de la monarchie, la gloire de Jean Ier comme la restauration de Jean IV. Le roi et les cortès étaient pour la masse des Portugais une même idée. On prit le drapeau de la liberté, parce que les voisins en donnaient l’exemple, et que l’esprit du XIXe siècle ne souffrait pas d’autre remède aux maux présens.

Ce mouvement vraiment populaire et unanime dévia bientôt de sa direction première. Le peuple, qui avait applaudi à la révolution, en ignorait les principes ; il ne suivit pas ses nouveaux chefs dans les phases de leur pouvoir orageux, et, peu de temps après que le gouvernement provisoire eut été organisé à Lisbonne, un semblant d’émeute, dont les auteurs même ne connaissaient pas l’importance, fit décider par une autorité incertaine que les députés seraient élus d’après la loi des cortès de Cadix. Le suffrage universel favorisa les hommes passionnés et entreprenans, au préjudice des gens timides qui reculèrent devant la violence des luttes constitutionnelles. Les élections devinrent plus politiques que la nation ; ce fut un grand malheur, et l’origine de la perte des cortès. Cette assemblée ne parvint alors qu’à faire une constitution servilement cal-

  1. En 1817, M. Gomez Freire et onze autres officiers avaient été condamnés à mort par l’influence de lord Beresford et exécuté par ses ordres.