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LE PORTUGAL.

de gouvernemens et ces apparences de révolutions que l’Europe prend quelquefois plus au sérieux que le Portugal lui-même.

Ces réflexions étaient peut-être nécessaires avant d’entrer dans le récit de l’histoire contemporaine ; pour comprendre la vérité des faits, il faut savoir distinguer le peuple des partis, et ne jamais confondre ceux-ci avec le gouvernement. Le peuple a dans le mouvement de la société portugaise une importance qu’il serait insensé de dédaigner. Son action obscure est tout indirecte ; sa force est passive. En général, il paralyse les résultats et met obstacle aux conséquences des faits. Mais, sauf quelques émotions passagères et frivoles, la masse, même par la pensée, ne prend aucune part aux crises que son éloignement corrompt ou dénature. Le gouvernement est le produit variable de trois élémens disparates : d’un peuple inerte et défiant, de partis que traversent mille passions individuelles, et qui connaissent leurs drapeaux mieux que leurs principes ; enfin d’idées quelquefois étrangères aux sentimens de ceux qui les invoquent.

II

Depuis le commencement de ce siècle, deux pays, la France et l’Espagne, exercent une grande influence, mais à des titres et à des degrés divers, sur le mouvement des esprits en Portugal. L’Angleterre, plus puissante sur le littoral qu’aucune autre nation, commande souvent et se fait toujours obéir, mais elle ne dirige pas l’opinion et elle révolte les sentimens. La France, au contraire, est aimée ; beaucoup de Portugais, dans les émigrations successives, ont trouvé chez elle un sûr et agréable asile, et l’éclat de ses crises multipliées frappe les imaginations. Toutefois son importance tient à ce qu’elle a donné la langue politique ; par l’expression, elle agit jusqu’à un certain point sur la pensée, qui ne vient presque jamais d’elle, et la forme domine le fond. C’est une tyrannie d’imitation que facilitent la faiblesse des convictions et le dégoût d’une impuissance prolongée. On parle d’une façon et l’on sent d’une autre ; mais on parle tant et l’on sent si peu, qu’au milieu de cette discordance tout devient bientôt indifférent ; et si la France n’impose pas ses idées au nouveau Portugal, elle contribue à y étouffer l’expression des sentimens du vieux pays.

L’action de l’Espagne est d’une autre nature ; les Castillans et les Portugais se ressemblent beaucoup moins qu’on ne le dit, et s’aiment fort peu. Cependant le contre-coup de presque tous les mouvemens politiques qui ont ébranlé l’Espagne s’est fait ressentir chez ses voisins ; il y a là un effet physique plutôt que moral, né du contact et de la position géographique, non de la sympathie et de la ressemblance des idées. La même tempête soulève dans les deux pays des élémens contraires ; les désirs, les griefs, les intérêts, peuvent être différens, mais l’incendie ne se propage pas moins, et s’étend à la Péninsule entière. Ce résultat, dû quelquefois à des sociétés secrètes et au concert de cabales apostoliques, tient néanmoins à des causes plus constantes. Dans