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LE PORTUGAL.

mains d’un prince bien peu capable de soutenir la nation au milieu des pénibles circonstances qui vinrent l’assaillir. La situation du Portugal, enveloppé par la Castille, fut telle dès l’origine, qu’au prix de sa nationalité, il lui fallait être commandé par des chefs habiles. Ses souverains eurent surtout à remplir les fonctions de généraux d’armées, et le peuple le plus passionné pour ses rois ne put jamais les souffrir incapables. Mille traits de l’histoire portugaise prouvent ce double instinct de la nation qui la portait à s’abandonner tout entière à ses princes et à beaucoup attendre d’eux. Sous l’empire de cette nécessité, de grands hommes se succédèrent sur le trône, et les rois faibles furent renversés, soit par les prêtres, soit par les nobles. L’imprudence du seul don Sébastien causa la perte du Portugal et le fit gémir pendant soixante ans sous le joug de la Castille. Les rois de la maison de Bragance, moins brillans que leurs devanciers, et, au contraire de ceux-ci, plus princes que gentilshommes, déployèrent des facultés de commandement, et jusque dans ces derniers temps Jean V, par la magnificence et la splendeur de ses fondations, charmait les yeux du peuple ébloui. La chute fut soudaine et complète ; au roi don José succéda la reine Marie Ire et, lorsqu’elle fut atteinte de monomanie religieuse, le débile Jean VI monta sur le trône.

En 1807, les Français entrent en Portugal ; le roi s’embarque pour le Brésil avec sa cour, et laisse son pays désarmé sans gouvernement. Puis, quand les Portugais, se souvenant de leur passé glorieux, lèvent l’étendard de l’indépendance au nom de leur roi et de la religion, Jean VI confie l’exercice de ce même pouvoir, que vient de lui reconquérir la nation, aux Anglais, qui exploitent le Portugal et l’épuisent d’or et de sang. Ainsi, abandonnant son peuple, il l’a deux fois livré aux étrangers ; sa faiblesse insigne a fait naître de cruelles factions. Du moins le peuple révérait Jean VI, tout en renversant son gouvernement, tout en lui insultant ; mais les princes de la famille royale ont attaqué le monarque leur père, l’un au nom de la liberté, l’autre au nom du despotisme : le premier lui a ravi un empire, le second l’a poursuivi dans son propre palais, et c’est sur la tête du monarque débile qu’il a porté la main pour en arracher la couronne. Quand la toute-puissance a été usurpée, il a bien fallu discuter les titres, contester, juger, scruter la conduite. C’est alors que le peuple a vu à nu l’ame de ses princes ; le prestige s’est effacé, et le doute sur la légitimité de la personne a ébranlé la foi dans le principe.

La royauté a donc subi le sort de la noblesse et du clergé, et de tout le vieil édifice de la monarchie portugaise il ne reste que des cendres. Je suis loin de m’en étonner, et quand je considère la conduite des princes, de la noblesse, du clergé, chargés de veiller sur une nation qui s’abandonne elle-même, ce qui me surprend, c’est que le peuple porte encore tant de respect aux fragmens mutilés de son ancien culte. Je n’en vois qu’une raison : il n’a rien pour les remplacer. Tout ce qu’on lui a offert est contraire à ses instincts, à sa nature, et n’a été que le prétexte ou l’occasion de nouveaux malheurs ; il n’a rien admis, et, placé entre le néant et la grande ombre que projette le passé,