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LE PORTUGAL.

des passions égoïstes et cupides. Quel fut son but ? le despotisme. De quels moyens se servit-il ? de la plus odieuse terreur, du meurtre, de la calomnie et de la délation. En définitive, quels résultats a-t-il obtenus ? Voyez les maux qui nous accablent. Sans doute, il a effectué des améliorations, l’ordre matériel lui doit quelque progrès ; mais en même temps il a miné toutes nos croyances, bouleversé nos traditions, désenchanté le peuple ; et, lorsque sa main puissante ne fut plus là pour soutenir son œuvre, le désordre moral enfanté par lui amena la chute de l’ordre matériel qu’il avait créé, et il devint ainsi le destructeur posthume de son propre ouvrage. »

Tout, il est vrai, ne fut pas destruction dans l’œuvre du célèbre ministre. La noblesse de province, la magistrature et le peu de haute bourgeoisie qui existât en Portugal, acquirent sous son gouvernement plus de consistance et de développement. Il favorisa le commerce et l’industrie par la fondation de corporations et de compagnies dont la plus célèbre est celle des vins de Porto. Enfin il facilita les moyens généraux d’instruction, et jusqu’à un certain point les mit en harmonie avec la philosophie française.

Si un despotisme minutieux, cupide et cruel n’eût rongé la société et n’eût été à lui seul une cause de décadence, le marquis de Pombal eût sans doute fait faire de grand pas à la nation, et dans un autre pays l’impulsion énergique de son gouvernement aurait imprimé un mouvement dont la civilisation eût recueilli plus tard les fruits ; mais les instincts portugais étaient trop tenaces pour être ainsi modifiés, et plus forts sur leur sol que les idées du XVIIIe siècle. En allant à l’encontre des vieilles mœurs, le despote Carvalho ne fit que tout ébranler, sans rien consolider de nouveau. Ce qu’il édifia tomba rapidement ; la noblesse devint moins puissante, moins apte à la pratique des affaires, moins capable de commander par le caractère et par le talent. Elle seule conserva cependant quelque autorité sur les souvenirs du peuple ; elle n’eut plus de force réelle, mais, si je puis m’exprimer ainsi, son ombre effaçait dans les cœurs toute autre image. La bourgeoisie ne put prendre racine, et la main d’une faible femme, de la pieuse reine Marie Ire, renversa en un instant l’œuvre de la philosophie moderne ; et comme le gouvernement nobiliaire qui succéda à l’administration du marquis de Pombal, n’aspira qu’à détruire à son tour, dès leur naissance les nouveaux élémens de force subirent le sort des anciennes institutions.

Le clergé a toujours exercé une grande autorité dans la société portugaise. Dès les premiers temps de la monarchie, les évêques, héritiers des prélats visigoths, dominèrent dans les réunions des cortès, et allèrent jusqu’à renverser des rois ; la déposition de don Sanche II prouva leur puissance et leur patriotisme. À l’époque des conquêtes, lorsque la gloire des navigateurs et des guerriers remplissait d’orgueil le peuple enivré, cette influence s’affaiblit beaucoup ; mais la réaction qui suivit dans la Péninsule l’apparition de la réforme au nord de l’Europe rendit à l’esprit sacerdotal toute son énergie. Si le clergé ne forma plus une force politique aussi distincte au milieu de celles de la nation, il la pénétra de toutes parts, il s’infiltra dans toutes les classes, et les im-