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LE PORTUGAL.

nécessité. L’activité plus productive que glorieuse qui convient aux nations civilisées répugne trop à sa nature et au charme de ses souvenirs ; il aime les aventures, et non le travail.

En 1580, la domination des Espagnols n’apporta aucun changement aux relations mutuelles du peuple et des nobles, mais elle déprima tous les cœurs sous l’étreinte du génie monacal, cet auxiliaire du despotisme castillan. La nation entière s’affaissa dans l’oisiveté ; elle perdit sa vigueur conquérante, et les semences de toute gloire à venir furent étouffées. Les traditions, sans se perdre, devinrent, dans la bouche des vieillards, plus merveilleuses et plus ornées ; mais, si elles occupèrent davantage l’imagination, elles tinrent moins de place dans la vie réelle et sérieuse. La perte de la bataille d’Alcasser avait dépeuplé le Portugal de ses chefs et de ses soldats ; désormais nulle occasion ne s’offrit d’en former de pareils.

Cependant la noblesse eut encore un beau jour. Quarante seigneurs, s’étant réunis, délivrèrent le pays du joug espagnol et proclamèrent roi le duc de Bragance ; cette nouvelle gloire ne fit que voiler le déclin de l’aristocratie portugaise. Plusieurs circonstances contribuèrent sans doute à consommer sa destinée ; le temps de la puissance individuelle, le temps des héros était passé. L’esprit des siècles qui s’avançaient a pu également affaiblir la vieille organisation créée par la foi, cimentée par la victoire ; mais des causes intérieures, des nécessités économiques, exercèrent une influence plus positive. Délivrés du joug espagnol, les Portugais retrouvèrent un monde maritime nouveau, où le commerce et l’industrie l’emportaient sur la chevalerie aventureuse. La Hollande et l’Angleterre avaient pris l’essor, et leurs solides conquêtes se fondaient sur l’utilité. Circonscrits, pressés de toutes parts, les Portugais épuisés se trouvèrent entourés de maîtres là où ils avaient régné sans rivaux. Ils remirent leur épée dans le fourreau, et, ne sachant modifier ni leurs idées ni leurs mœurs, ils abaissèrent leur caractère aux chances de leur fortune. Restait le Brésil, dont la prospérité s’accrut. Mais cette colonie était d’une autre nature que les possessions indiennes, et soit qu’elle ait enrichi temporairement la nation, soit qu’en définitive elle l’ait appauvrie de toute sa population active et industrieuse, toujours est-il que, ne donnant à l’aristocratie aucune occasion d’acquérir de la gloire et du talent, elle ne put qu’alimenter ses vices et satisfaire sa vanité. L’affaiblissement moral de la noblesse fut un mal général ; la corruption descendit d’elle aux autres classes du peuple ; la décadence de l’aristocratie ne grandit personne, le vide qu’elle laissa ne fut pas rempli.

Les princes de la maison de Bragance devaient trop aux nobles pour que ceux-ci ne leur portassent pas ombrage ; la reconnaissance est un lourd fardeau pour les puissans. Aussi voit-on les rois de cette dynastie, tout en cherchant à attirer à eux les membres des premières familles, s’efforcer de ruiner leur autorité. Les grands, retenus à la cour et uniquement occupés de ses frivolités, perdent de leur valeur ; leur influence tombe entre les mains des gentilshommes du second ordre, qui n’osent pas être puissans ; les anciens