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la commanderie d’un des trois ordres religieux que presque tous les grands du Portugal possèdent héréditairement, et dont ils portent les insignes.

Chose plus singulière encore, ce furent les guerriers qui apportèrent au peuple ses richesses. Tandis qu’en Espagne les découvertes étaient entreprises par des soldats grossiers comme Pizarre, ou des gentilshommes ruinés comme Fernand Cortez, en Portugal les rois et les princes furent les hommes les plus aventureux comme les plus instruits de la nation, et les plus illustres seigneurs s’élancèrent dans la carrière des découvertes et des conquêtes lointaines. Vasco de Gama était d’une grande naissance ; Gonzalvès Zarco da Camara découvrit Madère, et Cabral le Brésil. Pacheco, Almeida, Alburquerque, Castro, Menezès, Souza, Mascarenhas, tous ces grands hommes furent les plus célèbres comme les plus nobles parmi les conquérans et les vice-rois des Indes. Il n’existait pas d’industrie intérieure ; toutes les richesses qui élevèrent le Portugal lui vinrent du dehors ; c’étaient les dépouilles des peuples de l’Asie, les trophées de la gloire nationale. On ne connaissait de transactions commerciales que celles que faisait la victoire, et l’avidité même dut s’empreindre d’un caractère guerrier et presque héroïque. Le peuple vivait sans cesse dans les camps avec les gentilshommes ; il s’assimila de plus en plus à eux par une communauté d’intérêts et de dangers, par la fraternité qu’amenait naturellement une vie d’aventures. Les traditions qu’un homme enrichi léguait à son fils n’étaient pas un recueil de maximes économiques sur l’art de gagner de l’argent, mais les souvenirs de merveilleux combats dans les Indes et le nom du chef renommé sous les ordres duquel il avait vaincu les infidèles. Il plaçait son honneur à devoir sa fortune au talent de son capitaine, à identifier ainsi la jouissance de son bien-être et la gloire de sa patrie.

Ainsi, le Portugal, fondé par la conquête et la foi religieuse, vécut, s’agrandit, s’enrichit par la guerre et les expéditions lointaines. Pendant plus d’un siècle, les regards de la nation furent exclusivement tournés vers le dehors. De là une disposition des esprits qui dure encore et des tendances qui sont restées les mêmes. Mais ce qui fit jadis la prospérité et la puissance de la nation, n’est pas une des causes les moins actives de sa décadence actuelle ; elle était, au moment de la conquête des Espagnols, comme un grand arsenal rempli de soldats, de marins, de capitaines et de martyrs ; elle devint ensuite une pépinière de moines, de colons, d’officiers et de chercheurs de fortune ; et maintenant que leurs plus belles colonies leur ont échappé, les Portugais portent sans intérêt leurs yeux sur eux-mêmes. L’extérieur leur manque ; l’intérieur ne les excite pas : c’est une trop vieille habitude nationale que de le négliger. L’imagination populaire n’est pus émue, et l’esprit public ne l’a pas remplacée. Les anciennes routes de la fortune et de la gloire sont en même temps fermées. Au désenchantement absolu s’ajoute la misère universelle. La nation n’a plus de goût à rien. Elle a perdu tout ensemble sa poésie et son bien-être. Le vieux génie portugais ne se révèle que par le profond découragement et la prostration du peuple, qui ne sait ni ne veut se soumettre à la