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LE PORTUGAL.

associa. Chaque combat lui donna un nouveau territoire à exploiter, et ce fut à ces glorieux rois et à ces vaillans chevaliers que les uns durent leur liberté, les autres leurs terres, tous une patrie. En Portugal, l’histoire n’offre aucune trace de ces sentimens de haine et de jalousie que dans d’autres contrées le peuple a nourris contre les nobles. La raison de cette différence est fort simple. L’origine de la noblesse portugaise est la délivrance du pays ; l’origine de la noblesse dans presque toute l’Europe est la conquête.

Aussi les deux grandes classes qui partout ailleurs divisent la société paraissent-elles unies par un lien de confiance, de respect et de familiarité ; singulier mélange qu’un Français a peine à comprendre. Le cours des évènemens accrut encore l’harmonie qui s’était si facilement établie entre des guerriers et leurs compagnons. La civilisation romaine avait laissé peu de traces en Portugal ; si la langue est latine et colorée d’un reflet arabe, tous les sentimens primitifs, toutes les libertés sont de race germanique, et le génie des Visigoths plane sur ce peuple, enfant de la foi et de la chevalerie. Après le gouvernement des Maures, il n’existait point de ces villes, centres de sociétés particulières, où aurait pu se former une bourgeoisie avec des intérêts différens de ceux des autres classes de la nation. Celle-ci n’avait donc devant les yeux qu’un seul état de choses plus aristocratique que féodal, et la masse sociale n’était travaillée ni par le mépris ni par l’envie. La noblesse avait fait le peuple, et avec l’aide du peuple conquis sa gloire et sa puissance ; le Portugais pauvre ne connaissait d’autre moyen de s’enrichir que de prendre les armes. « Tout soldat est noble, » dit un vieil axiome national. Il ne s’offrait pas d’autre carrière qui pût exciter l’ambition. On n’entreprenait de guerres que pour le salut commun ou par un esprit de zèle religieux qui devait resserrer l’union des chefs et des soldats, et donner un but sacré aux efforts de toutes les classes.

Le souvenir de leurs rois, des guerriers des premiers temps, n’est resté si profondément gravé dans le cœur des Portugais, que parce qu’ils reconnaissent en eux les sauveurs de la patrie, les défenseurs de la foi. Il n’est pas un homme du peuple qui n’admire avec un patriotique enthousiasme Alphonse Henrique, le premier et le plus grand de ses rois, le vainqueur des Maures et de la Castille. Le cœur du plus humble se gonfle d’un légitime orgueil au nom éclatant d’Aljubarotta. Comment oublier Jean Ier, le glorieux bâtard, et son magnanime connétable ? Nuno Alvarès est le plus poétique des chevaliers portugais. « Ce n’est pas, dit Camoëns, un homme qui s’élance au combat, c’est un lion qui bondit et brise les remparts de fer. » Le Portugal était, à vrai dire, plutôt un nid de héros que la demeure d’un peuple. Toujours sous les armes, il fallut que les chevaliers, à peine vainqueurs des Maures, défendissent plus d’une fois leur conquête contre les Castillans. Souvent aussi ils se liguèrent avec ces nouveaux adversaires pour aller combattre au nom de la religion leurs ennemis anciens et invétérés. Le pays tout entier ne fut long-temps qu’un camp de croisés ; il se retrempa sans cesse dans cet esprit guerrier et chrétien qui avait présidé à sa formation. On peut encore en découvrir la trace dans