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nisme soulevait enfin l’Europe indignée, que ferait la France isolée ? Son isolement aurait, par une conséquence toute naturelle, resserré les liens des quatre puissances. Un pacte nouveau et plus intime serait probablement signé sous l’influence des alarmes qu’exciterait la France isolée et armée. Ce pacte ne serait rompu que le jour où des intérêts incompatibles viendraient à détacher la Russie de l’Angleterre. Ainsi, à moins de rompre en visière à l’Europe, l’isolement maintenu aujourd’hui ne serait qu’une politique expectante et d’observation jusqu’au jour d’une rupture possible entre l’Angleterre et la Russie.

C’est là une politique qui peut en effet se concevoir. Elle a ses avantages, elle a aussi de graves inconvéniens. Elle éloigne de nous, à la veille peut-être d’évènemens majeur, l’Autriche et la Prusse, lorsqu’il est notoire qu’elle n’ont rien omis pour amener un rapprochement, rapprochement dont lord Palmerston (nous ne disons pas l’Angleterre) se souciait assez peu, et la Russie moins encore. Mais le ministre anglais, comme le cabinet russe, n’ont pas osé donner un libre cours à leurs antipathies, à leurs rancunes ou à leur ambition.

Si la question d’Orient était ajournée pour long-temps, la France pourrait sans inconvénient ajourner toute résolution et demeurer isolée. Elle le pourrait encore si une crise venant à éclater en Orient, et les quatre puissances intervenant sans elle, elle était décidée, dût-elle troubler profondément la paix du monde, à jouer seule le rôle que ses intérêts et sa dignité lui commandent. Hors de ces deux hypothèses, nous l’avons déjà dit, et nous le répétons aujourd’hui, en présence des affaires d’Orient, la politique de l’isolement ne serait plus ni digne ni sérieuse.

Nous insistons sur les affaires d’Orient, car, dussions-nous être pris en pitié par les hommes d’état, nous le dirons : une pensée d’humanité, de liberté, de christianisme nous préoccupe. Nous ne savons pas si le mouvement qui agite celles des provinces de l’empire ottoman qui recèlent dans leur sein les élémens de la civilisation européenne, est de nature à pouvoir faire éclore et fructifier ces germes ; mais, ce qui est certain, c’est qu’en secouant leurs chaînes et en levant le bras contre leurs oppresseurs, le chrétiens de l’Orient tournent avec anxiété leurs regards vers l’Europe. Aperçoivent-ils quelques marques d’intérêt, quelques lueurs d’espérance ? leur courage s’anime, leurs efforts redoublent, la voix des chefs est entendue, les esprits incertains se déterminent, les hommes faibles se rassurent. Qu’ils désespèrent au contraire de nous, que l’Europe leur apparaisse insouciante de leurs souffrances, sourde à leurs plaintes, indifférente au succès de leurs efforts, le découragement les saisit, et le sabre du Turc ne rencontre que quelques hommes désespérés et des masses abattues et résignées.

Or certes on peut, sans vanité nationale, affirmer qu’entre toutes les puissances européennes c’est sur nous que se portent avec le plus d’espérance les regards de ces populations opprimées. Quoiqu’on fasse, le monde n’oubliera jamais que l’or et l’épée de la France n’ont pas manqué aux peuples qui travaillaient sérieusement, en temps opportun, à leur affranchissement. Aux États-Unis comme dans la Suisse française, dans la Suisse française comme en Grèce, on ne peut songer à l’indépendance du pays sans se rappeler l’in-