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REVUE. — CHRONIQUE.

être même la pensée d’une lutte nouvelle l’aurait-elle emporté dans son esprit, si son âge ne lui commanda pas la prudence et le repos, si les talens et les goûts d’Ibrahim étaient plus en rapport avec les conceptions hardies et profondes de son vieux père.

Méhémet-AIi a considéré que le hatti-shériff, quelles qu’en soient d’ailleurs les clauses et la teneur, lui faisait octroi du point capital, la possession héréditaire de l’Égypte. Il a pris acte de la concession. Le voilà légitime aux yeux de ceux qui cherchent la légitimité plus encore dans les parchemins que dans les faits. Si le sultan fait valoir les droits du souverain, Mehémet-Ali trouvera dans l’hatti-shériff le droit de résistance qui appartient à un vassal reconnu. Méhémet-Ali serait le duc de Bourgogne de la Porte, et il n’est pas probable que les Turcs trouvent dans leurs sultans l’habileté des rois de France.

Méhémet-Ali a d’ailleurs pensé, dit-on, que sa résistance dans ce moment n’aurait fait que resserrer les liens qui unissaient les signataires du traité du 15 juillet, et confirmer ce protectorat armé de l’empire ottoman qu’ils s’étaient arrogé, et dont la France paraissait plus que jamais décidée à ne pas trop s’émouvoir. Il a craint de se trouver de nouveau tout seul aux prises avec les quatre puissances. Le pacha a compris qu’il fallait attendre des occasions plus propices ; que l’Orient était gros d’évènemens, de vicissitudes, de catastrophes ; que tout effort prématuré ferait en quelque sorte avorter l’avenir et empêcherait d’en profiter ; que le rôle le plus habile dans ces circonstances est celui de spectateur, non de spectateur oisif et niais, mais de spectateur intelligent qui a l’œil à tout, qui répare ses forces sans bruit, et se prépare en silence à profiter de tous les incidens favorables. Si l’âge ne le trahit pas, Méhémet-Ali fera encore parler de lui.

Quoi qu’on en pense de la politique du pacha, toujours est-il que l’affaire égyptienne doit être considérée comme finie. Ce n’est pas en Égypte que s’agite dans ce moment la question d’Orient ; c’est ailleurs.

C’est sur l’île de Candie, c’est vers la Syrie, c’est sur toutes les provinces de l’empire ottoman où à côté du croissant s’élève la croix, c’est partout où l’Europe se trouve directement représentée par des populations chrétiennes, c’est là où notre civilisation reconnaît les enfans de cette Grèce qui l’a nourrie de son sein, et bercée de ses chants harmonieux, que se fixent de nouveau tous les regards ; des hommes religieux, des amis de l’humanité de tous les pays, de toutes les opinions, donnent le signal. Si la lutte se prolonge, si les faits sont autre chose qu’une révolte éphémère, si, comme dans la première révolution grecque, il y a durée, persévérance, dévouement, sacrifice, n’en doutons pas, l’issue sera la même. L’élan se propagera de proche en proche ; il ne sera ni anglais, ni allemand, ni français ; il sera européen ; il pénètrera peu à peu dans les cabinets ; la froide diplomatie, la dédaigneuse politique, s’en moqueront, elles ne seront pas moins contraintes de le suivre ; et, dût-elle voir se renouveler ce combat de Navarin dont nul ne voulait repousser la gloire ni accepter la responsabilité, ce combat livré en réalité, comme nous le disait un illustre amiral, par l’opinion publique dont on re-