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au mât qu’au moment de partir, ce qui ajoute à l’air d’abandon qui règne partout ici.

Les ressources du lieu sont en rapport avec sa population et sa faible importance commerciale. Hormis le poisson, tout ce qui peut servir à la nourriture, farine, viande, légumes, vient de Qenéh par convois de chameaux qu’on rencontre assez fréquemment sur la route. L’eau douce vient de six lieues de là ; elle coûte fort cher, et son goût est fétide ; c’est de l’eau de pluie corrompue et saumâtre, dont l’âcreté se communique au pain et à tous les alimens qu’elle a servi à cuire. Pour moi, qui comptais réparer un peu le mauvais régime de la route, j’éprouvai là une véritable déception ; obligé pourtant de céder à la faim et à la soif, je ne le faisais qu’avec un extrême dégoût.

Le commerce de l’endroit consiste dans l’entrepôt et l’expédition des blés venus de Qenéh et envoyés dans l’Hedjaz, d’où l’on rapporte du café. Ce commerce est même aujourd’hui presque nul, depuis que le café de l’Hedjaz a pris une autre voie et qu’il devient rare en Égypte. Il faut que l’homme soit bien malheureux ou bien cupide pour venir habiter un pareil séjour : je me suis hâté de le quitter dès le lendemain, bénissant encore mon étoile de m’avoir laissé naître sous l’heureux ciel de France, où j’espère bien aussi mourir.

Je dois toutefois rendre justice et payer mon tribut de reconnaissance à l’agent consulaire de France à Qosseyr, dont le bon accueil et l’hospitalité m’ont, autant que possible, évité les inconvéniens de ce misérable pays. Il est Syrien, et se propose, il le dit du moins, de retourner sur ses vieux jours à Jérusalem, sa patrie. Notez qu’il a bien soixante ans. Du reste, il est parfaitement acclimaté depuis vingt-cinq ans de résidence, et il ne se doute pas que son eau est mauvaise, ce qui me fait croire qu’il mourra ici, comme tous les Syriens, Arméniens, Grecs et autres étrangers venus pour faire fortune et qui meurent en Égypte. C’est M. Mimaut qui a conféré à ce brave homme le titre d’agent consulaire, mais j’ignore le genre d’avantage qu’il en tire. Ses fonctions, du reste, ne l’occupent guère, et depuis son installation, qui date de dix ans, il n’a eu que rarement occasion de recevoir des voyageurs français ; cependant il a fait bâtir à leur intention un logement très convenable, et l’on doit lui en savoir gré. Le registre où s’inscrivent les voyageurs auxquels il donne asile est à peu près blanc : j’y ai compté environ dix noms, ce qui fait une visite par an. Assurément, ce n’est pas trop pour la dépense et pour le profit. Il se nomme Elias, il est grand, maigre,