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pourvu au Caire, mais elles n’étaient pas confectionnées ; il avait fallu tour à tour les faire coudre et fermer, les mettre à l’épreuve et les nettoyer en les remplissant et vidant chaque jour. Pendant ces épreuves, il se fait des percées qu’il faut réparer ; puis enfin, pour que les outres soient en état de résister au poids de l’eau, à la suspension et au ballottement prolongé de la marche, on corde les pattes en forme d’anses, et on les barde de joncs nattés pour ménager le frottement. J’ajoute qu’après toutes ces opérations renouvelées à plusieurs reprises et continues depuis le Caire jusqu’au moment de partir pour Qosseyr, mes outres laissaient encore à désirer ; elles communiquaient surtout à l’eau une couleur rougeâtre et un goût sui generis fort apprécié sans doute des amateurs de vins de Chypre, mais très désagréable au buveur d’eau ; et, comme personne ne m’en avait charitablement averti, j’ai dû l’apprendre par expérience en buvant de cette eau pendant onze jours. Après l’eau, il faut songer au pain, c’est-à-dire au biscuit ; car le pain se moisit en trois jours. La viande et tout comestible humide sont également interdits, et, à moins que vous ne rencontriez en chemin, ce qui arrive, des perdrix ou des pigeons, ou que vous ne soyez pourvu des conserves d’Appert, il faut vous réduire à la diète sèche et en tout simplifier le bagage. Les provisions faites, il s’agit de passer marché pour les chameaux. Si vous n’avez besoin que de trois, on vous en imposera six ; puis, comme vous les prenez à la journée, ce qui est indispensable au voyageur qui veut explorer sa route, attendez-vous à toutes les ruses que l’esprit de calcul et d’avarice arabe peut imaginer pour amener des incidens et ralentir la marche, à moins que vous n’ayez des janissaires bâtonniers. Examinez bien aussi l’état des chameaux qu’on vous fournit, car ils pourraient vous laisser en chemin ; la route de Qosseyr est bordée sur toute son étendue des dépouilles de ces animaux qui ont, depuis des siècles, succombé à la fatigue et aux fardeaux dont les accable une imprévoyante cupidité.

Après avoir fait prix pour quatre chameaux à la journée, je suis parti avec ma suite, composée de quatre serviteurs et d’un chamelier ; j’avais aussi mon âne, comme monture de délassement. Le chamelier m’avait amené des animaux déjà meurtris sous le bât par de larges plaies, et pour éviter la charge des outres, il ne voulut pas prendre d’eau du Nil, assurant que j’en trouverais un peu plus loin, à Bir-Ambar. Il y en avait, en effet, d’excellente ; mais il n’en remplit qu’une outre des quatre, disant que l’eau des puits que nous trouverions en chemin était très douce j’eus la bonhomie de le croire. Je m’aperçus