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mina son Jugement dernier, et depuis ce moment il ne toucha plus ses pinceaux. Quant à Titien, il peignit, je crois, jusqu’à sa quatre-vingt-dix-neuvième année ; mais quelque temps après sa soixantième il entreprit ses voyages à Barcelone et en Allemagne, et l’on sait qu’après son retour ses tableaux n’ont plus offert qu’un reflet assez pâle de ses brillantes qualités, et que, semblables aux dernières tragédies de Corneille, ils ne doivent pas figurer dans ses œuvres. On peut donc dire que, vers 1540, tous les grands peintres de l’Italie avaient cessé ou de vivre ou de peindre ; et, depuis cette époque jusqu’à celle où commence à paraître dans sa maturité une nouvelle génération dont tout à l’heure nous ferons connaître l’origine et le caractère, on voit s’écouler près d’un demi-siècle d’interrègne.

Pendant ce temps la peinture disparut-elle avec les peintres ? Tout au contraire, jamais, à aucune époque, les tableaux ne furent aussi nombreux. Chacun de ces grands hommes venait de former une foule de disciples qui, se répandant sur toute l’Italie, l’eurent bientôt transformée en une vaste manufacture. C’est alors que commence l’histoire des écoles, histoire que les critiques italiens développent avec une admiration si complaisante, mais qui n’est en réalité qu’une affligeante démonstration de l’infirmité de l’art moderne et de l’éphémère fragilité de ses plus beaux triomphes. Ces prétendues écoles qui auraient dû perpétuer sinon le génie de leurs fondateurs, du moins leurs traditions, leur style, leur esprit, qu’ont-elles fait ? En est-il une seule qui soit restée fidèle à son drapeau ? A-t-on vu les élèves marcher avec constance et respect sur les traces de leurs maîtres ? À défaut de nouveautés originales que l’époque se refusait à produire, a-t-on continué à cultiver parallèlement, et en face les unes des autres, ces méthodes si diverses dont la variété formait un spectacle si beau et si complet ? Non ; au bout de quelques années les leçons étaient oubliées, les exemples abandonnés ; un certain goût banal et conventionnel pénétrait dans tous les ateliers et leur donnait à tous une même physionomie.

À vrai dire, il n’y eut plus dès-lors en Italie ce qu’on peut appeler des écoles, et, quand on emploie ce mot, on lui prête un sens purement géographique. C’est parce qu’un homme est né sur la rive droite du Pô plutôt que sur la gauche, ou bien à une demi-lieue en deçà ou au-delà des états de l’église et de ceux de Florence, qu’on l’incorpore dans l’école vénitienne, dans la romaine ou dans la florentine, sans qu’il y ait la plupart du temps entre sa manière et le style des chefs de ces écoles le moindre trait de ressemblance. Étranges classifica-