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EUSTACHE LESUEUR.

merce qu’avec l’austère pureté du passé ? Son ame tendre était-elle trempée pour cette lutte persévérante, pour cet effort solitaire ? N’aurait-il pas cédé ? et alors que seraient devenues cette candeur, cette virginité de talent, qui font sa gloire et la nôtre, et qui, par un privilége unique, lui ont fait retrouver dans un âge de décadence quelques-unes de ces inspirations simples et naïves qui n’appartiennent qu’aux plus beaux temps de l’art ?

Laissons-le donc se désoler et jeter des regards d’envie sur cette terre qu’il ne verra pas ; laissons-le racheter à force de veilles et d’études ce qu’il croit le tort de sa mauvaise fortune ; et, pendant qu’il travaille à s’affranchir de l’enseignement qu’il a reçu et à se frayer des voies nouvelles vers un but encore vague dans sa pensée ; pendant qu’il se promène en rêvant dans ce cloître des chartreux où quelques années plus tard il allait s’immortaliser, et où dès-lors il venait étudier la simplicité des draperies et le naturel des expressions, nous allons suivre ses condisciples en Italie, et chercher ce qu’étaient devenus la peinture et les peintres dans cette patrie de Masaccio et de Raphaël ; puis nous jetterons un coup d’œil sur la France, et, après avoir indiqué ce qu’avait été chez elle la peinture durant le siècle précédent, ce qu’elle était à l’époque où nous sommes, c’est-à-dire vers 1640, nous serons mieux en état de poursuivre le récit de la vie et des ouvrages de notre jeune artiste, et de l’apprécier avec vérité, lui et ses contemporains.

I.

L’Italie, pendant le XVe siècle avait mis au monde tant de peintres éminens, qu’une période d’épuisement et de stérilité succéda brusquement à cette exubérante production. Dès qu’on a passé les premières années du XVIe siècle, on ne voit plus rien germer, tout commence à tomber ou à se flétrir. Regardez après la mort de Corregio, en 1534, ce qu’il restait encore de cette puissante génération dont il était un des plus jeunes représentans. Raphaël n’était plus depuis quatorze ans ; Giorgione, Bellini, Fra Bartolomeo, Léonard de Vinci, le Perugin, André del Sarto, l’avaient précédé ou suivi dans la tombe : de toute cette famille de peintres immortels, il n’y avait de vivans que Michel-Ange et Titien, tous deux âgés d’environ soixante ans, mais destinés, il est vrai, l’un et l’autre à devenir presque centenaires. Michel-Ange était à la veille de renoncer à la peinture pour se livrer exclusivement aux travaux de Saint-Pierre. C’était en 1541 qu’il ter-