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sans scrupule. Vouet, qui aimait l’argent et qui voulait profiter de sa vogue, avait pris son élève en extrême affection, et se proposait même d’en faire son gendre ; mais le jeune peintre, comme tous ceux de ses camarades qui se vouaient sérieusement à leur art, était atteint d’une passion irrésistible qui ne lui permettait pas de faire un long bail avec son maître et avec Paris.

L’Italie, visiter l’Italie, telle était l’idée fixe qui possédait alors nos jeunes artistes français. Pendant long-temps c’étaient les peintres italiens qui étaient venus chez nous par colonies : les nôtres alors étaient peu voyageurs et ne franchissaient les monts qu’à rares intervalles. Mais depuis la fin des troubles, depuis la rentrée du roi Henri dans Paris, et surtout depuis son mariage, les rôles étaient changés, et c’étaient nos artistes qui se précipitaient sur l’Italie. La beauté de ses chefs-d’œuvre, qui durant le siècle précédent n’avait pas été universellement comprise en France, avait fini par devenir tellement incontestée, leur renommée était tellement retentissante, que le public ne reconnaissait plus pour peintres que ceux qui revenaient de ce pays-là, et que les jeunes gens couraient y chercher leur brevet de maîtrise, leur baptême d’artistes, et je ne sais quelles recettes merveilleuses pour avoir du génie. Deux sortes d’émigrations étaient alors également nécessaires : les nouvelles Indes pour qui voulait faire fortune, l’Italie pour qui voulait se faire un renom dans les arts.

Aussi, quelque grande que fût la célébrité de Vouet, quel que fût son crédit auprès du roi Louis XIII, qui prenait de ses leçons quatre fois la semaine, cette fièvre de voyages faisait de continuels ravages dans son atelier. Malgré les instances pour retenir les plus habiles, chaque année lui enlevait un certain nombre de ses bons élèves. Ce fut bientôt le tour de Pierre Mignard. Il alla rejoindre son ami Dufresnoy parti deux ans auparavant ; et quelques années plus tard Lebrun, auquel le chancelier Séguier assurait, outre les frais du voyage, une pension pendant six années, se mit aussi à faire des préparatifs de départ.

Quant à Lesueur, lui qui n’avait ni argent ni patron, il restait à Paris, et voyait, le cœur gros, ses camarades entreprendre l’un après l’autre ce doux pèlerinage.

Il ne sait pas que c’était sa bonne étoile qui le retenait loin de cette Italie si belle, mais si dangereuse. Sans doute il perdait l’occasion de fortes et savantes études ; mais que de piéges, que de contagieux exemples n’évitait-il pas ! Aurait-il su, comme le Poussin en fut seul capable, résister aux séductions du présent pour ne lier com-