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LES PROVINCES DU CAUCASE.

roule l’Aragoa et j’arrivai à Ananour, où je trouvai des troupes venant de Russie et destinées à compléter les régimens cantonnés dans le Caucase. Je remarquai Passananour comme un des plus jolis sites de la route que je suivais au milieu d’une longue et étroite vallée fermée par des montagnes dont de beaux arbres couronnent le sommet. L’Aragva anime le paysage, que les grands mouvemens de la nature ont marqué d’un caractère imposant. Le jour venait de cesser, et de tous côtés brillaient des feux de bivouac autour desquels des caravanes de marchands ou de soldats s’étaient serrées pour se défendre du froid, car le voisinage des montagnes amène un notable changement dans la température.

Nous suivîmes la vallée de Passananour jusqu’à Beidar ; puis, commençant à nous élever lentement, nous parvînmes par une route difficile et mal entretenue jusqu’à Kaischaour : toute végétation avait presque cessé. Nous dûmes pourtant nous élever encore jusqu’au sommet de la montagne de la Croix, c’est-à-dire à une hauteur de quatorze cents toises. Nous descendîmes ensuite jusqu’à Kobi ; je remarquai, avant d’arriver à ce poste militaire, un pont naturel vraiment curieux. L’eau, s’étant frayé un passage au milieu des nombreuses couches de glace et de neige accumulées pendant l’hiver, y avait taillé pour ainsi dire un pont d’une seule arche légèrement suspendu sur le torrent. De tous côtés jaillissent, dans ces hautes régions, des sources minérales qui produisent, dit-on, des effets salutaires. Les Russes vantent beaucoup aussi la grandeur des effets que présentent ces montagnes ; je ne puis m’extasier avec eux sur les précipices que j’entrevis : j’avoue d’ailleurs que je n’aime pas les montagnes arides. De Kazbek à Wladi-Cawkas, la route a cependant un caractère de majesté qu’on cherche en vain sur les autres points. Le Terek en cet endroit se précipite avec fracas au milieu d’immenses blocs de granit qu’il entraîne fréquemment dans son cours rapide ; des rochers à pic s’élevaient au-dessus de nos têtes, laissant à peine un étroit passage pour nos chariots de poste. Souvent nous traversions le Terek sur des ponts en bois jetés d’une rive à l’autre. Des pointes de rochers qu’il faut tourner resserrent tellement le passage, que ce n’est qu’en suivant tous les contours du Terek qu’on a pu rendre la route praticable. J’arrivai au poste de Dariel. On a placé là une compagnie d’infanterie et de l’artillerie pour défendre le point le plus resserré du passage des piles caucasiennes ; il fallut montrer nos passeports à l’officier qui commande ce poste.