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Si Dieu avait fait un choix contraire, ce que nous appelons aujourd’hui le mal, serait le bien par excellence. Cette doctrine que M. Secrétan ne donne pas pour sienne, lui inspire un enthousiasme sans bornes. « C’est grand, dit-il, c’est simple, c’est beau, c’est vrai ! » Il y a quelque exagération dans cet éloge, dans le dernier trait surtout. Nous n’aurions pas mis là cet éloge ; mais puisqu’il y est, à Dieu ne plaise que nous nous chargions de l’en ôter. M. Secrétan, qui ne craint pas les rapprochemens, rapporte en note un propos assez méchant de Leibnitz contre Puffendorf et Barbeyrac, qui soutenaient l’opinion même de notre professeur de Lausanne. Ce rapprochement-ci en effet n’est pas à redouter pour M. Secrétan, et personne ne dira de lui « que son opinion ne doit pas être comptée sur cette matière. » Il nous permettra de dire, cependant, malgré l’estime que nous inspire son talent, que sa réfutation de Leibnitz est peut-être un peu aventureuse. Quelque grands philosophes qu’ait produits l’Allemagne dans ces derniers temps, le système de Leibnitz peut encore se défendre, à côté des leurs, et la doctrine du progrès ne nous oblige pas à croire que les derniers venus ont nécessairement raison. M. Secrétan expose et discute toutes ces théories, en homme qui en possède la complète intelligence ; et cet opuscule nous promet dans peu un livre de mérite. Pourquoi M. Secrétan, qui se trouve placé à Lausanne, entre l’Allemagne et la France, ne nous donnerait-il pas une histoire de la philosophie allemande dans ces derniers temps ? Ceux qui, en très petit nombre, ont essayé jusqu’ici de remplir cette tâche, l’ont fait, il faut le dire, en véritables Allemands, et leurs études les ont fait passer à l’ennemi. Ce qu’il nous faut, c’est une histoire française de la philosophie allemande, une histoire qui n’ait aucune prétention à la profondeur, mais qui en ait beaucoup en revanche à la clarté, à la précision, au sens commun. M. Secrétan ne doit pas être étonné que nous le mettions si résolument de notre parti ; il est Français ; il est de l’université de Lausanne, et à Lausanne on enseigne dans notre langue et on pense dans notre langue. Nous devons être fiers de notre parenté avec cette université de Lausanne, qui compte des professeurs tels que MM. Monnard, Secrétan, Zundell ; n’est-ce pas là que M. Sainte-Beuve a esquissé pour la première fois cette histoire de Port-Royal dont il nous a fait depuis un si admirable livre, et l’année dernière encore, l’université de Lausanne n’avait-elle pas M. Mickievicz, cette gloire de la Pologne, que ce pauvre grand peuple partage aujourd’hui fraternellement avec nous ?


V. de Mars.