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Parmi les détails si curieux qu’il donne sur le procès de Babeuf, M. Nodier a parlé de Darthé, ce farouche beau-frère de Joseph Lebon, qui a laissé dans le nord de si terribles souvenirs, et qui fut seul condamné à mort avec Babeuf, comme apôtre de ces doctrines odieuses contre la propriété, dont le souvenir n’est pas encore éteint. M. Nodier assure que le silence absolu de Darthé contrasta à l’audience avec l’intarissable faconde de Babeuf. Darthé pourtant avait projeté une réponse qu’il devait lire au tribunal et qui est demeurée inédite ; elle a pour titre : Darthé patriote de 89 aux républicains ses frères et à ses juges. Le hasard a mis l’autographe entre nos mains ; il n’a pas moins de douze pages ; en voici un court fragment : « Je n’eus jamais pu penser que j’aurais été arrêté comme ennemi d’une révolution qui fut dans mes principes avant qu’elle ne fût même parvenue au point d’anéantir toute espèce de despotisme… J’ai maintenant vingt-huit ans ; j’étudiais en droit à Paris à l’époque de la révolution… Je forçai, avec les généreux habitans de cette ville, l’hôtel des Invalides que le tyran avait désigné comme l’arsenal des armes qui devaient immoler les ennemis de la révolution. Fier de l’arme que j’y avais enlevée, je marchai à la conquête de la Bastille… Je fus employé dans des détachemens envoyés pour protéger les convois de farine qui venaient approvisionner Paris… J’accompagnai les patriotes qui marchaient contre Versailles, repaire infâme de brigands contre-révolutionnaires… Ces occupations sans relâche altérèrent ma santé ; je tombai malade et je retournai dans ma famille… Arrivé à Saint-Pol, mon pays natal, mes premiers soins furent d’y propager la haine des tyrans et l’amour du peuple. En 1791, mes compatriotes me nommèrent membre de la municipalité régénérée… Secrétaire du district, membre du directoire du Pas-de-Calais, j’eus l’honneur d’être du nombre de ces patriotes qu’on appelait maratistes ; je signai une dénonciation contre le traître Roland, et toutes les adresses contre le tyran Capet… Quand j’eus été envoyé comme commissaire pour le recrutement des trois cent mille hommes dans le district de Montreuil, quand j’eus été envoyé aux troupes du Nord lors de la trahison de Dumouriez, la convention nationale déclara que j’avais bien mérité de la patrie… Après quelques autres missions, Potier, accusateur public, étant malade, le représentant du peuple Lebon me força, malgré mon refus et le peu d’usage, à remplir cette place. Mon patriotisme reconnu, plutôt que mes liaisons avec le représentant, me firent nommer à ce poste, que je remplis pendant deux mois avec la justice et la fermeté républicaines… Ma conduite s’est-elle un seul instant démentie ? J’ose dire que non… Je braverai donc les haines particulières des aristocrates qui ont toujours vu en moi un ennemi gênant il est vrai, mais qui devait l’être… » — Telle est l’autobiographie de Darthé ; je la recommande au perspicace auteur des Souvenirs.