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REVUE. — CHRONIQUE.

même, à l’heure qu’il est, plusieurs hommes distingués, plusieurs hommes éminens dans les lettres qui n’ont écrit que des articles de journaux. Ce serait donc une ingratitude maladroite de la presse de trop maltraiter ces sortes d’ouvrages et de dire du mal de ce qui a été sa vie propre, de blâmer en volumes ce qu’elle a loué en articles, en un mot, de médire d’elle-même, sous prétexte qu’elle a changé de format. Constatons seulement qu’on a singulièrement étendu le privilége, et qu’on a réuni bien des improvisations par trop incohérentes, par trop marquées d’actualité, comme on dit maintenant en mauvais français. Que de gens, jusqu’aux plus minces érudits, ont eu le fétichisme de leur pensée ! Que de gens inconnus ont donné leurs mélanges complets ! Il n’est pas, je crois, jusqu’à M. Berger (de Xivrey), qui n’ait fait imprimer le recueil de ses articles. Qu’est-il arrivé de là ? C’est que les bons recueils ont un peu souffert du voisinage des mauvais, et que ce qui n’avait paru que médiocre, grace à l’isolement successif des articles, a paru détestable, une fois rapproché.

Si quelqu’un a usé et aussi abusé de la littérature de fragmens, c’est bien M. Nodier. Mais à quel talent, je le demande, cette dispersion et cette allure brisée vont-elles mieux ? Qui y a mis plus de grace et de charme ? La plupart des morceaux qui composent le dernier ouvrage de M. Nodier, les Nouveaux Souvenirs[1], sont déjà connus ; il s’agit de Charlotte Corday, de Fouché, de Réal, d’une foule de personnages de la révolution, de Pichegru surtout, que M. Nodier veut absolument réhabiliter, et cela avec une persistance qui, devant l’inflexibilité de l’opinion, suppose une conviction vive. C’est la première fois que ces morceaux épars reparaissent ainsi coordonnés, et avec une unité que ma mémoire ne leur aurait pas supposée.

S’il est un livre au monde qui échappe à l’analyse, qui se dérobe au compte rendu, qui fuie devant la critique, quand la critique tâche d’abréger et d’extraire, ce sont bien les Souvenirs de M. Nodier. Ces riens de la jeunesse si habilement racontés, un certain tour d’imagination qui avive la réalité, ce laisser-aller, et, si j’osais dire, cette flanerie perpétuelle de la pensée, ce désordre savant du récit, un sentiment si réel et si désabusé des choses et des hommes, tant de malice fine et enjouée, tout cela se devine et ne se raconte pas. Peut-être l’art consommé du prosateur ne se déguise-t-il pas assez, et la simplicité est-elle parfois trop prévue, trop arrangée. Le flexible talent de M. Nodier brille bien plus à l’aise quand l’apprêt de la politique et de la couleur historique ne le préoccupe plus, et quand il mélange franchement la rêverie et le souvenir, comme dans ses nouvelles charmantes, Amélie ou Clémentine. Ici M. Nodier s’excuse souvent, beaucoup trop souvent, de ses redites qui n’en sont pas, de ses banalités qui sont au contraire la distinction même. À la longue, cela taquine, et, dans un moment de pique, on serait tenté de dire à l’auteur qu’il a raison, et qu’il rappelle très mal à propos au lecteur ce que le lecteur était si disposé à oublier.

  1. Un vol. in-8o ; chez Magen, quai des Augustins.