Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/951

Cette page a été validée par deux contributeurs.
947
REVUE. — CHRONIQUE.

récitatifs étaient nécessaires, Weber avait compris sous une tout autre forme le drame simple et touchant qu’il avait à traiter ; mais à quoi bon se préoccuper de ces choses ? L’Opéra n’a-t-il pas sous la main M. Berlioz, dont l’autorité, en fait d’art et de convenance, vaut bien celle de Weber ? M. Berlioz pourvoira à tout ; il n’est pas homme à s’effrayer de si peu, et le voisinage du grand compositeur, loin de l’épouvanter, ne lui donne qu’une modeste assurance. Aussi, faut-il le voir à l’œuvre ! Avec quelle complaisance il se laisse aller à sa fantaisie, ne trouvant jamais l’espace assez vaste entre deux morceaux pour étaler tout à son aise sa traînante et fastidieuse mélopée, entourant cette musique vive et saisissante des liens de sa pensée confuse, fatiguant l’auditoire, écrasant les chanteurs, et jetant un manteau de plomb sur cette fantastique et merveilleuse conception !

Certes, s’il était un maître dont la forme dût être respectée, c’était Weber. À voir avec quel soin l’auteur de Freyschütz avait étudié chaque nuance, développé chaque caractère, depuis les sentimens les plus intimes jusqu’aux plus exaltés, on aurait dû comprendre de quelle importance devenait une déviation, quelque légère qu’elle fût, dans la route qu’il s’était tracée, et quelle étrange confusion y apporterait l’esprit maladroit qui voudrait s’imposer à l’œuvre du maître. On se demande pourquoi M. Berlioz n’a pas, au lieu du Freyschütz, qui lui offrait tant d’écueils, traduit la partition d’Euryanthe, dont les proportions grandioses et la forme épique étaient dans toutes les conditions voulues par l’Académie royale de Musique. Malheureusement, dans cet ouvrage, Weber s’est chargé de toute la besogne, les récitatifs y sont au complet ; c’est peut-être à cause de cela que M. Berlioz l’a dédaigné. Pour ne rien négliger et compléter gaiement son ouvrage, le traducteur de Freyschütz a eu l’heureuse idée d’intercaller dans le cours du troisième acte des airs de ballet pris, l’un dans des fragmens d’Oberon, l’autre, le croirait-on ? composé en entier de cet admirable morceau, l’Invitation à la walse, où la mélancolie, la passion, les fureurs jalouses, forment le plus puissant drame qui soit sorti du cerveau d’un poète. Les mélodies touchantes accompagnent les ronds de jambe des danseuses, les cris de rage et de désespoir se traduisent par les immenses entrechats des danseurs. Jamais parodie d’un chef-d’œuvre n’a été faite d’une façon plus maladroite et plus inconvenante. Était-ce à M. Berlioz, le détracteur forcené de tout pastiche et de tout pot-pourri, de renchérir encore sur les autres, et de porter une main imprudente sur ce qu’il y a de plus sacré au monde, les larmes d’un poète ?

La mauvaise fortune qui s’est attachée dès les premiers jours à la nouvelle traduction de Freyschütz, semble de plus en plus étendre sa fatale influence sur chanteurs et choristes. À vrai dire, l’Opéra ne s’est guère mis en frais pour la combattre ; jamais exécution et mise en scène n’ont été plus négligées. Les chœurs, partie si importante dans cet ouvrage, sont menés avec une mollesse, une incurie impardonnables ; les femmes manquent presque toujours leur entrée dans le refrain de la chanson de Kilian. Le chœur des chasseurs est dit avec plus de soin ; on y observe fidèlement les nuances indiquées par