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LES PROVINCES DU CAUCASE.

éternel à sa famille. Il a cessé d’être la propriété du maître auquel cette famille appartient, il est devenu la propriété de l’état et ne peut plus rejoindre ses foyers. Pendant vingt ans, mal soigné, mal nourri, tantôt sacrifié à l’ambition de ses chefs, tantôt à leur cupidité, il mène la vie la plus pénible et la plus laborieuse. Si c’est une faveur que l’empereur veut accorder aux populations du Caucase en les assimilant aux Russes, je doute que cette faveur soit comprise et appréciée. Si au contraire l’empereur n’a en vue que d’unir plus étroitement ces populations à son gouvernement en les soumettant aux mêmes charges comme aux mêmes lois, il obtiendra un résultat inverse de celui qu’il espère ; car les populations qui tolèrent aujourd’hui le joug russe s’uniront bientôt aux peuples encore indépendans pour protester contre l’état d’asservissement auquel on veut les réduire. Le gouvernement russe a tenté plusieurs fois des recrutemens partiels. Des corps formés de Géorgiens ou de musulmans ont coopéré aux succès des Russes dans les campagnes de Turquie et de Perse ; ces mêmes corps ont refusé de marcher, soit contre les peuples de la Circassie, soit contre ceux du Daghestan, et l’on a dû les licencier.

Tout homme sage et de bonne foi reconnaît que l’organisation de l’empire russe exige des réformes fondamentales ; pourtant la position des maîtres et de leurs serfs est toujours la même. Pourquoi vouloir qu’un peuple aussi industrieux que l’Arménien, aussi beau et aussi brave que le Géorgien, rampe sous un code de lois barbares que la Russie ne supporte qu’avec peine ? Ce n’est qu’en assurant la tranquillité et le bien-être des peuples soumis qu’on peut compter sur leur coopération active ; c’est en favorisant la culture d’un pays qui presque partout manque de bras, que la Russie peut se créer des richesses territoriales qui n’existent pas sur son propre sol. Si les Géorgiens, les Arméniens et tous les musulmans soumis deviennent heureux et riches, la vue de leur prospérité séduira les montagnards. Ils ne pourront hésiter à reconnaître que le commerce offre plus d’avantages qu’une vie passée en excursions continuelles pour enlever quelques bestiaux ou surprendre un ennemi imprudent. Malheureusement aujourd’hui la prospérité des peuples soumis à la domination russe n’est qu’un rêve dont la réalisation semble bien éloignée.

Les Géorgiennes, qui ont une réputation de beauté établie dans tout l’Orient, se distinguent par la régularité de leurs traits et la ma-