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tématique peut quelquefois paraître niais, le pessimisme systématique mériterait une épithète plus sévère encore.

La France, quoi qu’on en dise, possède tous les moyens matériels que la prévoyance politique recommande à une nation qui a souci de ses intérêts et de sa dignité. Le traité du 15 juillet n’a pas été sans utilité pour nous : en nous blessant, il nous a réveillés. Nous nous sommes aperçus tout à coup que les psalmodies des philantropes et des humanitaires avaient par trop endormi notre esprit politique ; que, s’il nous faut des navettes, il nous faut aussi des fusils ; que les chevaux de diligence ne marcheraient pas long-temps en sûreté si nous manquions de chevaux de dragons et de cuirassiers, et que, s’il est utile de sillonner le pays de chemins de fer, il n’est pas moins nécessaire de réparer nos places fortes et de ne pas laisser dépérir notre marine militaire.

La France est armée, et, quoiqu’on fasse, elle restera armée, sauf à proportionner l’effectif de ses armemens aux mouvemens de la politique générale. Si le gouvernement n’a pas obtenu pour l’organisation de l’armée, et surtout pour la réserve, les ressources que lui promettait le projet de loi sur le recrutement, il doit se l’imputer. Il n’avait qu’à simplifier son projet, à en extraire les deux ou trois dispositions qui étaient fondamentales, et à réserver tout le reste pour un projet plus mûrement élaboré. La loi ainsi réduite aurait été votée dans cette session. On a insisté ; on a voulu en quelque sorte contraindre la chambre des pairs à voter la loi tout entière sans le moindre amendement. La chambre a usé de son droit ; elle a bien fait. Le gouvernement a retiré le projet : c’était aussi son droit. Nul ne peut s’en plaindre ; le gouvernement peut, sauf la responsabilité des ministres, retirer un projet qui se discute, comme il peut proposer à la couronne de ne pas sanctionner un projet adopté. Seulement il a prouvé, en le retirant, ou que le projet ne lui tenait pas fort à cœur, ou qu’il n’a pas effectivement le pouvoir de rappeler à Paris un nombre suffisant de députés ; c’est dire en d’autres termes qu’en fait la chambre des députés clot elle-même sa session.

Au reste, l’ajournement de ces mesures ne désarme point le pays. Les crédits supplémentaires ont été votés à une grande majorité. La loi sur les travaux publics extraordinaires sera également adoptée. L’essentiel est dans les fortifications et les arsenaux, dans tout ce qui ne peut s’improviser. La France ne manquera jamais d’hommes qui, au bout de quelques semaines, pourront sans fatuité déposer le nom de recrues et s’appeler des soldats.

Si les moyens matériels ne nous manquent pas, si le pays a su prendre, au prix de grands sacrifices, une attitude conforme à ses vrais intérêts et à sa dignité, est-ce la force morale qui pourrait lui faire défaut dans des circonstances que nous sommes loin d’appeler de nos vœux, mais qui ne sont cependant pas chose impossible ?

Sans doute le pays veut la paix, il en désire sincèrement le maintien, il en apprécie les bienfaits, et il lui serait douloureux de se voir tout à coup dé-