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REVUE. — CHRONIQUE.

l’Angleterre, elle aurait été la dupe de la politique russe. Ses efforts pour abaisser, pour avilir le pacha d’Égypte, n’auraient été que des fautes grossières. Il était si facile de comprendre que Méhémet-Ali pouvait être l’appui le plus solide de la Porte, et de prévoir que l’ébranlement du pacha donnerait à l’empire tout entier une secousse dont il était impossible de calculer les effets. L’Autriche et la Prusse ont pu signer par faiblesse, qu’on nous passe le mot, par camaraderie politique ; l’Angleterre, loin d’éprouver aucune contrainte morale, avait au contraire d’excellentes raisons pour ne pas signer. Encore une fois, ou le cabinet Melbourne a été dupe, ou il avait conçu les arrière-pensées les plus ambitieuses.

L’empereur Nicolas, quelque pacifiques que soient ses penchans, ne peut cependant pas, malgré son autocratie, braver l’opinion de son pays, le sentiment national. Il peut patienter, tergiverser, jouer avec sa proie, caresser sa victime, lui adresser de douces paroles, attendre les évènemens, désirer même que le cours n’en soit pas précipité ; mais là s’arrête nécessairement la longanimité russe. Au-delà il y aurait impossibilité morale pour le successeur de Catherine.

Ainsi, en Orient plus qu’ailleurs, la politique est à la merci des évènemens. Certains faits venant à s’y accomplir, il est des rôles en quelque sorte obligés : celui de la Russie n’est pas douteux ; l’Angleterre est plus libre dans ses résolutions ; l’opinion publique y est moins absolue sur ce point, moins décidée qu’en Russie ; elle est distraite par plus d’intérêts divers et souvent opposés, éclairée et calmée par des débats contradictoires, et subordonnée aux intérêts du parti qui est au pouvoir.

Cette dernière circonstance est d’un grand poids dans ce moment. Les partis sont aux prises en Angleterre ; la lutte est des plus acharnées ; sir Robert Peel et lord John Russell ont fait jouer avec rudesse même les ressorts les plus délicats du système représentatif ; dans le dernier échec que les tories viennent de faire éprouver au cabinet à l’occasion du bill sur l’administration de la justice, le chef des conservateurs, en s’armant de la prérogative des communes, a presque touché à la prérogative de la couronne.

Nous ne savons quel sera le résultat des élections générales qui vont agiter les trois royaumes. Il paraît certain que les tories auraient regagné du terrain dans l’Angleterre proprement dite, et, les questions que les whigs ont soulevées ne nous paraissent pas de nature à leur concilier l’opinion des comtés agricoles. Bien qu’en définitive les lois des céréales profitent aux propriétaires plus qu’aux fermiers, un brusque changement doit cependant inquiéter ces derniers. D’un côté, ils craignent de trouver des propriétaires d’autant plus difficiles qu’ils seront moins riches ; de l’autre, il est des baux à longs termes dont les propriétaires pourraient vouloir abuser, et des fermes de troisième ou de quatrième qualité que l’abolition du privilége ferait probablement abandonner.

Quoi qu’il en soit, il est difficile que cette lutte acharnée ne soit pas pour