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serait aux sentimens pacifiques comme aux entraînemens belliqueux des limites que nul n’aurait le pouvoir de franchir.

En présence de ces faits et de ces complications, serait-il impossible qu’une pensée de résistance vînt à germer de nouveau dans la tête du vieux pacha ? qu’il aimât encore mieux tenir de son épée que d’une concession offensante ce que désormais nul ne peut lui enlever ? S’il nous imitait, si, en conservant son armée, il s’isolait, et si, au lieu de payer des tributs à la Porte, il s’appliquait à faire jouir ses peuples d’une administration plus humaine et plus raisonnable, sa domination sur l’Égypte serait-elle moins assurée et pour lui et pour ses successeurs ? Posséderont-ils moins l’Égypte s’ils sont habiles, s’ils sont forts ? La garderont-ils, malgré l’investiture, s’ils sont incapables et désarmés ? L’Orient est livré à la force ; le droit y sera inconnu jusqu’au jour où les évènemens qui s’accompliront, Dieu seul sait quand et comment, le feront entrer définitivement dans le cercle de la civilisation européenne. Ce jour-là, pour l’Égypte aussi commencera une ère nouvelle, et, si un successeur de Méhémet peut alors régner sur ce pays, ce ne sera pas comme vassal d’un empire écroulé, mais comme l’héritier de celui qui s’était fait le représentant et le propagateur de nos idées, et avait devancé en Égypte la révolution que l’Europe prépare depuis long-temps à l’Orient.

Quoi qu’il en soit, tant que les arrangemens entre la Porte et le pacha n’auront pas été définitivement conclus et acceptés sans restriction aucune, on ne peut pas dire, légalement du moins, que le traité du 15 juillet est entré sans retour dans le domaine de l’histoire. La question est donc toujours au même point, en apparence du moins, car en réalité les faits nouveaux qui se préparent en Orient rejettent désormais la question égyptienne sur le second plan. Des prévisions plus graves encore, des craintes plus sérieuses, doivent aujourd’hui préoccuper les cabinets, ceux du moins qui désirent sincèrement le repos du monde et qui n’ont point d’arrière-pensées à l’endroit de l’Orient.

Si les évènemens qui agitent l’empire ottoman prenaient quelque consistance, la politique de l’Angleterre et de la Russie quitterait, bon gré mal gré, les voies souterraines, et devrait se montrer au grand jour. C’est alors qu’il faudrait expliquer ce qu’on entendait par cette phrase sacramentelle qui a servi à déguiser tant de projets et à justifier tant d’erreurs, je veux dire, l’intégrité de l’empire ottoman. Et alors on verrait probablement que, tandis que la France entendait parler de la conservation en Orient d’un vaste empire, tout en lui laissant subir dans ses formes, dans ses diverses parties, dans son organisation, les profondes modifications que nous imposent plus ou moins à tous le cours des évènemens et l’esprit du temps, l’Angleterre et plus encore la Russie entendaient par là le maintien de cet empire avec tous ses vices, ses faiblesses, et ce désordre intérieur qui en détruisait le nerf et la vie, afin que, s’écroulant un jour avec fracas, il pût facilement devenir la proie de ses redoutables voisins.

Si rien de pareil n’était entré dans les projets plus ou moins éloignés de