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qu’on signale aujourd’hui. Au lieu de rendre la justice, ils tourmenteront les habitans par mille petites vexations qu’ils ont évitées jusqu’à ce jour. Le baron de Hahn assure, au contraire, que la nouvelle administration sera un premier pas vers une prospérité réelle, qu’aucun désordre, qu’aucun abus ne pourra désormais échapper à une répression sévère ; enfin, à l’en croire, la justice s’exercera avec autant de sagesse que de rapidité. Il se propose de soumettre ses employés à une surveillance si active, qu’ils ne pourront abuser de leur autorité. Le baron de Hahn a passé une année en Géorgie comme chef d’une commission d’enquête ; il a parcouru tout le pays et se croit au fait de ses intérêts comme de ses besoins. Je n’ose lui contester le mérite qu’il se reconnaît ; j’ajouterai seulement que, venu pour changer la législation d’un pays (ce qui demande une étude approfondie, car toute fausse démarche peut entraîner les résultats les plus fâcheux), le baron de Hahn a dû mettre la nouvelle administration en vigueur à partir du 1er janvier 1841. Le 31 mai, le législateur retournera à Pétersbourg recevoir les complimens de l’empereur, sans attendre que la conduite des employés civils lui permette de juger par lui-même de l’effet des réformes qu’il aura introduites. Cinq mois suffisent pour qu’il y ait, en Géorgie apparence d’administration ; qu’importe si la marche de cette administration est entravée plus tard ? La faute en retombera sur ceux qui en feront partie, non sur celui qui l’aura créée avec cette légèreté, apanage trop fréquent de l’ignorance.

L’empereur veut que le gouvernement du Caucase soit tout-à-fait assimilé à celui d’une province russe ; un premier ukase, en supprimant les franchises du commerce dont jouissait la Géorgie, a ralenti le mouvement d’affaires qui commençait à s’établir à Tiflis. Quelques fabricans russes, ne sachant où trouver un écoulement pour leurs marchandises, ont seuls profité de cet ukase, qui a annulé le produit jadis considérable des douanes géorgiennes. Aujourd’hui les lois russes sont imposées à des populations aussi distinctes par leurs habitudes que par leur religion ; bientôt le système de recrutement, adopté dans l’intérieur de la Russie, sera mis en vigueur dans la Géorgie et l’Arménie. Seuls parmi les peuples incorporés à la Russie, les habitans de ces provinces ne savent que maudire leur esclavage sans oser secouer leurs chaînes.

Il n’est peut-être pas de condition plus triste que celle du paysan russe, ni de charge plus odieuse que le recrutement tel qu’il se pratique dans l’empire du czar. Le paysan fait soldat doit dire un adieu