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LES PROVINCES DU CAUCASE.

qui tombent au pouvoir des Lezghiens ou des Tchetchens, il n’en existe pas ; mais que l’on compte le nombre d’hommes tombés victimes de cette rage d’envahissement, et l’on sera effrayé du chiffre. L’armée du Caucase ne monte, année commune, qu’à quatre-vingt mille hommes ; les pertes, causées tant par les maladies que par les guerres, sont de douze mille. Ce chiffre a souvent été dépassé lorsque les Russes ont tenté quelque expédition dans l’intérieur. Dans toutes les escarmouches, le nombre des officiers tués ou blessés est vraiment effrayant ; il y a peu de temps, dans une attaque du général Golafieff, sur les bords du Terek, dix-huit officiers furent tués ou grièvement blessés ; à peine cent soldats furent mis hors de combat.

Tous les généraux russes veulent établir une comparaison entre leur position au Caucase et la nôtre en Algérie ; j’ai toujours combattu ce rapprochement auquel ils se plaisent, tenant à leur prouver que, du jour où la France suivra un système constant, soit de conquête absolue, soit d’occupation restreinte, nous arriverons à une possession tranquille de l’Algérie. Telle n’est pas la position de la Russie, qui, même en envoyant toutes ses forces disponibles dans le Caucase, ne peut anéantir les populations ennemies. Avec cent soixante mille hommes, répartis cette année dans tout le gouvernement du Caucase, les généraux ne se sont pas crus en force pour tenter quelque attaque sérieuse, soit contre les Circassiens, soit contre les Lezghiens. Leur temps s’est écoulé à disputer des projets de construction de forts, à commencer l’établissement d’ouvrages qui cet hiver seront détruits par les populations ennemies. L’armée française, qui n’est guère forte que de quarante mille hommes, a fait avec succès de longues expéditions dans l’intérieur de la régence. Je n’ai pas visité l’Algérie, mais j’avoue que je plaindrais mon pays si notre colonie était livrée aux mêmes désordres et à la même anarchie que le gouvernement du Caucase, et si nous nous trouvions forcés de lutter contre des peuples aussi remarquables par leur bravoure que par leur amour de l’indépendance. Ces deux vertus, en effet, distinguent éminemment les peuples du Caucase, et on ne pourrait voir sans un sentiment douloureux ces hommes de fer tomber victimes de leur patriotisme. La mission du baron de Hahn, sénateur de l’empire, chargé par l’empereur d’introduire en Géorgie le système civil des autres provinces russes, soulève de violentes récriminations. Tous les officiers contestent l’utilité de la division d’autorité que le nouveau système doit introduire. Les employés civils que l’on enverra en Géorgie commettront, disent-ils, des abus beaucoup plus grands que ceux