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LITTÉRATURE ANGLAISE.

à une espèce de forçat libéré, très bon garçon d’ailleurs, sort parfaitement pur et intact, plus héros que jamais, et à ce titre assez ennuyeux, des épreuves immondes auxquelles le romancier le soumet. Cela n’est pas vrai, comme observation de la vie. Enfin, la peinture de la société parisienne, que l’auteur a esquissée, nous semble pécher par la frivolité et l’exagération. Nos bas-bleus sont moins bleus, nos forçats sont moins noirs. Centre d’une civilisation excessive, Paris a bien plus de nuances et moins d’ardentes couleurs. Cette femme exquise de la rue du Mont-Blanc, merveille dont Bulwer a tracé le portrait et qui tient à la fois de Sapho, de Bérénice, de sainte Thérèse et de Mme Deshoulières, espèce de feuille de rose trempée dans l’encre sans avoir perdu sa saveur, ne rappelle aucun objet vivant que nous connaissions. Voilà pour la vérité du plan et des détails. Quant à l’harmonie de l’œuvre, nous aurions aussi beaucoup à dire ; le style en est puissant, mais de couleurs diverses, et l’on croirait apercevoir les caprices successifs d’une plume qui a inscrit sans ordre, sur un registre propre à cet usage, toutes les inspirations du moment. De là un grave défaut d’ensemble, une verve très animée qui procède par fantaisies incohérentes, des pages magnifiques et éloquentes, mais peu liées au fond même du tableau. De là, dans les masses générales, une absence pénible d’unité.

C’est, je l’ai dit, le malheur de l’époque, la confusion. Tout s’est mêlé, jusqu’aux races. Il y a encore des gens qui croient à une littérature italienne, à une littérature anglaise, à une littérature allemande. En effet, le temps d’autrefois a porté ces fruits-là. Les saveurs alors étaient différentes, les langues diverses, les idées dissemblables. Le père Bouhours demandait si un Allemand pouvait avoir de l’esprit ; l’honnête Favyn[1] se montrait curieux de savoir si aucun peintre étranger « trousserait et décrirait aussi galamment qu’un Français la fleur de lys du blason royal. » Mais depuis bien long-temps tous ces arbres sont abattus, et il pousse sur un terrain uniforme, couvert du même engrais d’antiquité, une forêt de verdoyans arbustes, pas très élevés, tous de la même espèce, tous du même feuillage et de la même sève. Heine est-il Allemand ? Très peu. Carlyle, Anglais ? Encore moins. Pellico, Italien ? J’en doute. — Tout s’en va, confondu dans la même nuance, ou perdu dans le même crépuscule qui rayonne de mille teintes et qui se nuance de toutes les ombres.

  1. Théâtre d’honneur et de chevalerie.