Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/925

Cette page a été validée par deux contributeurs.
921
LITTÉRATURE ANGLAISE.

aussi loin l’incurie. Que l’on ouvre au hasard ces deux volumes, dont le titre même est un contre-sens, on y trouvera, sur quelque page que le regard s’arrête, infidélité, inélégance, inexactitude, enfin mensonge, le grand roi de ce temps-ci, le Diespiter, le Zeus, et le Vishnou du XIXe siècle, le mensonge, dont les incarnations littéraires et politiques nous pressent et nous enveloppent de toutes parts. Examinons le premier chapitre venu ; chapitre xxii, page 390 de l’édition de Paris, ou page 413 du tome II de la traduction. Dès la seconde ligne, une phrase est supprimée : in the thoroughfares life was astir ; « dans les rues et les places, tout était vie et mouvement. » Le traducteur a sans doute compris la difficulté du mot thoroughfares, « passage, rue et place, » expression saxonne, plus teutonique qu’anglaise ; il a senti l’autre obstacle offert par le mot vigoureux astir, mot teutonique et impossible à rendre exactement ; quelque chose « qui remue, qui vit, qui se déplace, qui s’élance. » Il a laissé tout cela dans son écritoire. Continuons. Ligne 4, the old retired trader, eying « wistfully ; » le mot wistfully, indiquant l’attention, la pénétration du regard, a été supprimé, ainsi que les expressions let loose, « lâché, détaché, mis en liberté ; » — rose ; « les clochers qui s’élèvent cracked whine ; « chevrottement d’une voix gémissante ; » hard-gained savings ; « les épargnes, fruit d’un labeur pénible. » Tous les points lumineux, toutes les couleurs qui caractérisent, tous les mots qui font le style ont disparu sous cette couche pâle et terne, sous cette mauvaise couleur grise, sous ce badigeon des traducteurs qui ne traduisent pas.

Ce n’est encore ici qu’une parodie et une infidélité contre le sens général. Arrivons aux infidélités de mots, aux erreurs grossières et matérielles dont les deux volumes fourmillent. Nous n’irons pas plus loin que la ligne 12 du même chapitre. Bulwer y fait le portrait d’une « vieille fille, assise dans son carosse, » et unconscious of any life (étrangère à toute autre existence), but that creeping (excepté à celle qui circulait lentement). Through her own dull-rivered veins (à travers ses veines au cours languissant). C’est une fort belle phrase de Bulwer, indiquant l’égoïsme de la vieillesse, qui ne sent plus la vie ailleurs que dans ses propres veines, et qui reste étrangère à toute sympathie extérieure.

Le traducteur a détruit cela au moyen du plus lourd contre-sens imaginable : « C’était une vieille fille, dit Mlle Sobry, qui sentait à peine la vie circuler dans ses veines. » Tout au contraire, la vieille fille de Bulwer n’aperçoit et ne comprend de vie au monde que dans