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comme sans élan. Le soldat russe bien dirigé forme, dans les grandes opérations militaires, une masse presque impénétrable, que le canon seul peut briser ; mais, pris à part, chaque soldat n’a ni énergie ni adresse ; aussi peut-on attribuer au caractère particulier du soldat russe la prolongation indéfinie des guerres du Caucase.

De toutes les autorités russes à Tiflis, l’homme le plus distingué est, sans contredit, le chef de l’état-major, le général Kotzebue. Obligé de correspondre avec tous les gouverneurs de districts, d’ordonner les mouvemens des troupes, il ne peut malheureusement tout surveiller ; d’ailleurs, quelle que soit la bonne volonté d’un chef, il lui est impossible de réprimer tous les abus qui existent dans toutes les parties de l’administration. Partageant l’opinion du général en chef, M. Kotzebue désapprouve le système de conquête ; il croit qu’il serait facile, au lieu de vouloir affamer les peuples du Daghestan, de les habituer peu à peu à entrer dans des relations suivies de commerce ; tous y trouveraient des avantages, et le gouvernement ne serait pas obligé de maintenir dans le Caucase une armée de cent soixante mille hommes.

Je fus étonné de l’unanimité qui règne parmi les généraux de l’armée ; tous blâment le système de conquête, aucun n’entrevoit un résultat qui les dédommage des dangers qu’ils courent. Dans mon premier voyage en Géorgie, tous les employés du gouvernement me paraissaient sûrs d’arriver à une pacification complète ; aujourd’hui tous sont découragés ; ils expriment leur répugnance avec une irritation bien extraordinaire de la part d’hommes soumis au pouvoir despotique de l’empereur. Presque tous maudissent le jour où la Russie a franchi la ligne du Caucase. Les doléances des officiers que je trouvais sur ma route étaient les seules, il est vrai, que je pusse entendre ; mais, puisque ceux qui trouvent dans cette guerre un avancement rapide se plaignent de leur service au Caucase, que doivent dire les malheureux soldats qui n’échappent au fer de l’ennemi que pour succomber à des maladies mortelles pour des hommes aussi mal nourris que mal soignés ?

Il y a deux ans, six forts ont été enlevés par les Circassiens ; ces forts, il est vrai, n’avaient qu’un simple rempart en terre, mais ces remparts étaient défendus par des garnisons de cinq cents hommes, ayant avec eux une artillerie redoutable aux montagnards ; les Russes les occupaient depuis le traité d’Andrinople, par lequel le sultan abandonna à l’empereur tout le littoral de la mer Noire. Perdre ces forts, c’était donc reculer. Dans le Daghestan, ce ne sont point des forts