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REVUE DES DEUX MONDES.

Il est doux, il est beau, lorsque le jour décline,
De la descendre ensemble et de dormir au bas,
Comme ces vieux époux aux tranquilles figures,
Que l’on voit côte à côte et se donnant la main
Dormir d’un si bon cœur et d’un front si serein
Sur les antiques sépultures.

Les Poésies sociales des Ouvriers, recueillies par M. Olinde Rodrigue auraient paru, il y a quelques années, les plus prodigieuses du monde. Le menuisier de Nevers a été considéré par le XVIIe siècle comme un phénomène, et cependant il n’y avait en somme rien de fort étonnant à ce qu’un ouvrier tournât agréablement quelques refrains bachiques. Mais c’était une idée enracinée en France, et qui subsiste encore aujourd’hui, qu’un travail manuel est incompatible avec les travaux de l’intelligence. Nous ne sommes pas surpris, pour notre part, que des ouvriers puissent faire des poésies, et l’exercice d’un métier quelconque ne nous semble pas s’opposer à l’inspiration : le boulanger de Nîmes et d’autres brillans exemples prouvent le contraire. Nous pensons même que raboter une planche ou coudre un soulier est une occupation plus favorable à la poésie que de faire des feuilletons ou d’être employé à quelque travail intellectuel subalterne.

Nous avons été assez désappointé en lisant les Poésies sociales des Ouvriers. Nous nous attendions à de la nouveauté, à du pittoresque, à de l’énergie, à du naturel, enfin à toutes les qualités non littéraires. Nous avons trouvé des vers bien faits, académiques, incolores et vides, tels que pourraient les faire des poètes par état. Si l’on ne voyait pas au bas de chaque pièce un tel, cordonnier ou menuisier, on prendrait aisément ce recueil pour un almanach des muses quelconque. L’imitation de Lamartine et de Victor Hugo s’y fait sentir à chaque ligne, ce sont des méditations, des rêveries qui ne rappellent en rien la profession et la situation particulière de ceux qui les ont écrites. Ce titre de sociales, que M. Olinde Rodrigue a inscrit sur ces pièces, n’est guère justifié. Il est vrai que les mots avenir, progrès, capacité, exploitation, oppression, s’y présentent assez fréquemment ; mais ce bagage, ramassé dans les premiers Paris et les articles de fonds des journaux utilitaires, n’est rien moins que social. Est-il quelque chose au monde de plus subversif et de plus funeste que cette fiévreuse préoccupation de l’avenir qui dégoûte du présent et vous rend la vie insupportable par l’espérance de félicités chimériques ? — Les riches sont-ils bien des ogres et des cannibales, des monstres pétris de vices, comme on les représente toujours ? Les prolétaires ont-ils donc toutes les vertus ? L’inégalité des conditions est une loi fatale, qu’il faut accepter comme la différence de taille et de force, de beauté et de laideur. Il y a un hasard social comme il y a un hasard naturel ; vous naissez pauvre comme vous naissez bossu, sans raison apparente, et vous aurez beau changer les formes de la société et du gouvernement, il en sera toujours ainsi. — C’est avec cha-