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REVUE LITTÉRAIRE.

POÉSIES NOUVELLES.

Assurément il n’y a pas au monde de labeur moins encouragé que celui de la poésie : la première prière qu’adresse au ciel un père qui pense à l’avenir de son enfant, est pour supplier Dieu qu’il ne soit pas poète, et la seule instruction que l’on reçoive dans les colléges, c’est d’apprendre à ne pas faire de vers français. À la proposition fabuleuse d’éditer un volume de poésie, les libraires prennent des mines rébarbatives, hérissées et sourcilleuses. Les cabinets de lecture vous repoussent ; les trente journaux qui analysent consciencieusement et minutieusement le plus mince vaudeville, le plus épais mélodrame, n’ont pas le moindre petit coin à consacrer aux volumes de vers dont les couches plus vierges que la neige des Alpes s’étendent en silence sur la table des feuilletonistes dans l’espoir toujours déçu d’une mention, d’une réclame ou d’un article. Et cependant, malgré de tels obstacles et une défaveur si marquée, chaque mois il paraît pour le moins une douzaine de volumes beurre-frais, paille, serin, gris de perle, et autres nuances délicates affectées spécialement à la poésie. Les poètes sont les gens les plus désintéressés du monde, puisqu’ils n’ont d’autre récompense de leur travail que le plaisir qu’ils en retirent. On fait de la prose pour les autres et des vers pour soi ; la poésie est une maîtresse dédaigneuse pour laquelle on se ruine, la prose une honnête femme qui vous nourrit, et ce n’est pas celle-là qu’on aime, car l’esprit de l’homme est aussi ingrat que son cœur.