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MOUNY-ROBIN.

que saura-t-on ? Ce qu’on savait il y a trois mille ans : c’est qu’il y a des pythies, des devins, des augures, des visionnaires et des prophètes qui n’exploitent pas tous la crédulité des hommes, et qui sont vraiment mus par une puissance intime et incontestable. On ne dira plus : C’est Apollon, c’est Isis, c’est Jehovah, c’est Magog qui parle. Les savans diront : C’est un fait naturel qui se produit. Mais, en vérité, à qui donc remonte la puissance dont ce fait émane ? Ne sera-ce pas jusqu’à Dieu, aussi bien que tous les faits de la vie dans l’univers ? Ce n’est donc pas dans une étude matérielle de la cause première qu’il faut chercher le progrès. Ce progrès ne sera jamais qu’une confirmation de plus en plus éclatante et universelle de la foi en Dieu, conquête primitive, durable, éternellement modifiable et perfectible de l’humanité. Mais ce qu’il appartient à la science humaine d’analyser et d’expliquer par les moyens qui lui sont propres, c’est d’une part le mécanisme des causes naturelles procédant des causes divines, et de l’autre le mécanisme des effets naturels procédant des unes et des autres. La science fera ce progrès quand les savans auront vu un assez grand nombre de faits nouveaux et incontestables pour rougir de leur scepticisme, comme ils rougiraient aujourd’hui de leur naïveté, si naïfs ils pouvaient être.

J’en étais là de mon explication, quand je vis que mon auditeur cosmopolite était profondément endormi. Je l’avais magnétisé, sans le vouloir, par mes réflexions sur le magnétisme. Ce fut à grand’peine que je l’arrachai au sommeil délicieux que lui procurait ma logique, pour lui faire entendre le final admirable du Freyschütz. Quand le rideau fut tombé : — Vous me devez la fin de l’histoire de Mouny-Robin-Gaspard et de Georgeon-Samiel, me dit-il en passant son bras sous le mien ; nous irons nous asseoir à Tortoni, et vous me l’achèverez.

— Je ne saurais, répondis-je, la raconter dans un lieu livré à des influences aussi contraires à l’effet qu’elle doit produire, et je crois, pour continuer le système de mon braconnier extatique, qu’au contact de toutes ces élégances parisiennes, je perdrais la mémoire des jours de ma jeunesse campagnarde. Venez avec moi en plein air ; la lune donne sur les toits, et je réussirai peut-être à sortir de mon explication…

— Je vous en dispense, dit le cosmopolite, qui commençait à en avoir assez. Il me semble que j’ai compris, tout en dormant ; vous attribuez à votre homme une sorte de seconde vue qui s’exerçait à la chasse, et qui se produisait chez lui au moyen de certaines crises