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MOUNY-ROBIN.

— Des yeux ? répondit-il. Mettez telles lunettes que vous voudrez, et si vous voyez ce que je vois, je vous fais cadeau de mon chien et de ma femme. Allons, allons, vous, dit-il à mon frère, armez votre fusil, la plume n’est pas loin.

Au bout de cent pas, nous trouvâmes une bande de canards sauvages, Mouny s’abstint de tirer. Mon frère en tua plusieurs, et revint souper avec son carnier plein de canards, de bécasses et de pluviers.

— Quand je vous ai dit que vous ne rentreriez pas sans plumes ! observa Mouny ; je savais bien que vous ne tueriez pas de perdrix. C’est égal, vous ne devez pas être mécontent. Pour ma peine, vous allez me promettre, si nous rencontrons ma femme, de ne pas lui dire un mot de ce que nous avons fait à la chasse. Il nous avait tant de fois recommandé le secret à cet égard-là, que nous n’avions garde d’y manquer. Il ne cachait point à sa femme le gibier qu’il avait tué ; mais de quelle façon il l’avait abattu, avec quel plomb, à quelle heure, en quel endroit, et après quelles paroles, voilà les mystères qu’il fallait lui faire, chaque jour, le serment de ne pas révéler. Il ne chassait guère qu’avec nous, et c’était une grande marque de confiance qu’il nous donnait. — Tu te crois donc sorcier, que tu caches ainsi ton savoir-faire ? lui disions-nous. — Non, répondait-il ; mais il ne faut pas qu’une femme sache rien des affaires de la chasse : cela porte malheur.

Cet homme offrait dans ses idées au premier abord un singulier assemblage de crédulité et de scepticisme. Il ne croyait vraiment pas au diable, ni aux mauvais esprits, mais à la fatalité, ou plutôt à des influences pernicieuses ou bienfaisantes, qu’aucune science, je crois, n’a jamais reconnues, faute peut-être de les avoir observées. Il eût été bien important que nous fussions assez éclairés pour examiner ou reconnaître les propriétés qu’il attribuait à certains corps, à certaines émanations, à certains contacts. Quand on l’examinait de près, on voyait bien qu’il n’était pas superstitieux le moins du monde, et qu’il agissait en vertu d’une théorie physique vraie ou fausse. Les résultats étaient la plupart du temps si extraordinaires, que, selon toute apparence, il ne se trompait pas souvent dans l’application. Je ne crois pas qu’il ait cherché jamais à remonter aux causes ; mais il avait certainement une science d’instinct ou d’observation. D’où la tenait-il ? Nous n’avons jamais pu le savoir, et j’ignore s’il le savait lui-même. À cet égard, ses réponses étaient évasives, et comme il était plus fin que nous, nous n’en tirâmes jamais rien.

Toutes les fois que la chasse était mauvaise, il se retirait (c’était