Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/901

Cette page a été validée par deux contributeurs.
897
MOUNY-ROBIN.

Nous y trouvions un plaisir extrême, mon frère, parce qu’il lui faisait rencontrer beaucoup de gibier, moi, parce qu’il nous conduisait dans les sites les plus charmans et les plus ignorés de la Vallée Noire. Il continuait son système de conjuration contre les influences pernicieuses, et ses prédictions. Je dois dire, pour la vérité du fait, que celles-ci ne se réalisèrent pas toujours parfaitement, mais qu’elles se réalisèrent vingt-cinq fois sur trente, et cela dura non quatre jours, mais quatre ans et demi, pendant lesquels Mouny-Robin prit sur nous, comme chasseur, et peut-être aussi un peu comme sorcier, un ascendant que peu à peu nous cessâmes de combattre. En étudiant avec lui les mœurs du gibier, nous pûmes bientôt nous convaincre que ses habitudes n’étaient pas aussi régulièrement tracées que nous l’avions cru d’abord. Plus nous examinions notre guide, plus nous remarquions en lui une sorte de divination, à l’endroit de la chasse, dont il semblait parfois travaillé et tourmenté comme d’une souffrance, comme d’une maladie. Il n’était pas charlatan le moins du monde, il n’employait aucune manigance cabalistique, et, s’il croyait à Georgeon, il s’en cachait bien et n’en parlait pas volontiers. Un phénomène qui s’opérait en Mouny-Robin nous mit, quoique vaguement, sur la voie de ce que je crois aujourd’hui devoir approcher de la vérité.

Un jour (nous avions apparemment toutes les mauvaises influences contre nous), nous fîmes quatre ou cinq mortelles lieues de pays sans rien rencontrer. Il semblait que tout le gibier eût été frappé d’une plaie d’Égypte, car nous ne pûmes pas seulement viser une alouette. Rageot était d’une humeur de dogue, et Médor nous regardait d’un air mélancolique. Deux ou trois fois, pour tromper leur ennui, ils tombèrent en arrêt sur des hérissons et sur des couleuvres ; mais Mouny nous interdisait de tirer sur ces viles bestioles, prétendant que cela gâtait la main. Au dire des paysans, il protégeait, par malice de sorcier, les mauvaises bêtes vouées au diable, car Georgeon livre au chasseur qu’il protège le plus noble gibier, à condition qu’il respectera les animaux immondes dont il fait sa société dans les nuits de sabbat : les chouettes, les chats sauvages, les crapauds, les serpens, les renards, les loutres, les chauves-souris, les loups, etc. Ce jour-là, Mouny-Robin était triste, accablé, plus pâle qu’à l’ordinaire, et nonchalant comme il ne l’était pas souvent.

— Écoutez, nous dit-il, il faut changer tout cela, je vais me retirer.

— Qu’appelles-tu te retirer ? lui dis-je. Quitter la chasse ?

— Non, mon fils, répondit-il, je vais me retirer dans ce taillis ;