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MOUNY-ROBIN.

genoux, où le buisson exhale les parfums de l’aubépine, et où le taureau mugit d’une voix désolée. Par une nuit de la fin d’automne, votre promenade serait moins agréable, mais plus romantique. Vous marcheriez dans les prés humides, sur une grande nappe de brume blanche comme l’argent. Il faudrait vous méfier des fossés grossis par le débordement de quelque bras de la rivière, et dissimulés par les joncs et les iris. Vous en seriez averti par l’interruption subite des croassemens des grenouilles, dont votre approche troublerait le concert nocturne. Et si par hasard vous voyiez passer à vos côtés, dans le brouillard, une grande ombre blanche avec un bruit de chaînes, il ne faudrait pas vous flatter trop vite que ce fût un spectre ; car ce pourrait bien être la jument blanche de quelque fermier, traînant les fers dont ses pieds de devant sont entravés.

Le plus mystérieux et le plus pittoresque de ces moulins cachés sous le feuillage et abrités par le versant rapide du coteau d’Urmont (eh ! mon Dieu, si quelque rustique habitant de notre Vallée Noire était là pour m’entendre prononcer ce nom, vous le verriez dresser l’oreille comme un cheval ombrageux), le plus joli, dis-je, de ces moulins, celui qui fut jadis le plus prospère et qui désormais ne l’est plus, c’est le moulin Blanchet. Hélas ! il n’a pas toujours de l’eau maintenant dans les chaleurs de l’été, et pourtant jamais il n’en a manqué du temps que Mouny-Robin en était le meunier. Le moulin qui est au-dessus et celui de Lamballe, qui est au-dessous en remontant et en suivant le même cours d’eau, en manquaient souvent. Les meuniers maudissaient la saison, ils tourmentaient en vain leurs écluses, ils épuisaient jusqu’à la dernière goutte de leurs réservoirs sans pouvoir contenter leurs cliens, et pendant ce temps la roue du moulin Blanchet tournait triomphante et chassait à grand bruit des flots d’écume. Mouny-Robin satisfaisait toutes ses pratiques, et voyait, comme de juste, venir à lui toutes celles de ses confrères malheureux ; c’est que Mouny-Robin était sorcier, c’est qu’il s’était donné à Georgeon.

Qu’est-ce que Georgeon ? Qu’est-ce que Samiel ? Georgeon est un diable bien malin. Je n’ai jamais pu réussir à le voir, quoique j’y aie fait mon possible. Mais tant d’autres l’ont vu, que l’on ne saurait révoquer en doute son existence, et son intervention dans les affaires de nos paysans. C’est lui qui donne de l’eau au moulin, de l’herbe au pré, de l’embonpoint aux bestiaux, et surtout du gibier au chasseur, car il est particulièrement l’Esprit de la chasse. Il trotte dans les guérets, il rôde dans les buissons, il contrarie les chasseurs mal-