notre peuple, si vous pénétrez dans nos provinces, au fond de nos campagnes, vous y trouverez des traditions si semblables à celles de l’Allemagne et de l’Écosse, que vous reconnaîtrez bien que ces poèmes populaires ont une source commune. Les poètes et les artistes des diverses nations s’en inspirent plus ou moins. L’Angleterre a Shakespeare et Byron, l’Allemagne Goethe, la Pologne Mickiewicz, l’Écosse Ossian et Walter Scott. Nous n’avons rien de semblable. Nos superstitions n’ont point eu d’illustre interprète et n’en auront pas ; l’esprit voltairien leur a porté le dernier coup, et notre moderne école fantastique n’a été qu’une pâle imitation de celles de nos voisins. Elle n’a rien produit de durable ; c’est une affaire de mode. Le Français des hautes classes et celui des classes moyennes rient des contes de revenans, et défendent aux valets d’en troubler la cervelle des enfans. L’Allemand éclairé n’y croit pas davantage, mais il n’en rit pas ; il les aime. Personne, à cet égard, n’a mieux peint l’esprit allemand que Henri Heine.
Quant à nous, continuai-je, nous avons lu les contes d’Hoffmann avec un plaisir extrême ; mais l’impression que nous en avons reçue n’a pas modifié nos habitudes de logique, notre impérieux besoin de la recherche des causes, et, par conséquent, cette raison un peu froide et railleuse qui scandalise l’Allemand. J’avoue que rien n’est plus risible que l’esprit fort qui veut tout expliquer sans rien savoir ; mais il y a une autre faiblesse qui consiste à s’interdire toute explication, bien qu’on ne manque pas de science, et qui n’est pas moins ridicule. Voilà, je crois, la différence entre les deux nations. Le Français, par amour du vrai, nie ou méconnaît toute vérité nouvelle ; l’Allemand, par amour du fabuleux, refuse de constater la vérité qui contrarie ses chimères. Mais, je vous le répète, descendez au cœur du peuple ; vous trouverez dans les grandes villes une population intelligente et active, qui, bien qu’initiée à la raison et à la logique des hautes classes, se souvient encore des traditions de son enfance et des contes de sa nourrice villageoise. Et si vous voulez aller au village, sans vous éloigner beaucoup de Paris, vous trouverez la fable de Freyschütz aussi vivante dans les imaginations rustiques que vous venez de la voir sur ce théâtre.
— Je serais curieux de m’en assurer, dit mon cosmopolite.
— Eh bien ! repris-je, allez un peu causer avec les gardes forestiers et les bûcherons de la forêt de Fontainebleau. Ils vous raconteront qu’ils ont entendu, dans les nuits brumeuses de l’automne, passer la chasse fantastique du grand-veneur. Il en est même qui ont