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siècles, donne encore des consolations aux vieillards, des préceptes aux jeunes gens, et dont toute une nation ne parle qu’avec un sentiment de respect et d’amour filial ?

Au XVIIIe siècle, la Hollande retomba sous la domination de la France. Boileau fut son maître, Racine et Corneille ses idoles, et la littérature classique son idéal. Désormais, adieu toutes ces tentatives d’indépendance qui avaient fait la gloire de Hooft et de Vondel, et ce caractère national que Cats imprimait à ses œuvres. Les écrivains nouveaux s’étonnent de l’outrecuidance de leurs prédécesseurs et se replacent comme des écoliers dociles sous la férule de la France. On imite la France dans ses modes et ses constructions, dans ses fêtes et ses caprices. Les jardins sont divisés en losanges de fleurs, et les plates-bandes de gazon coupées comme des branches d’éventail ; les arbres, taillés par le ciseau, s’arrondissent en voûte, s’élancent en pyramides, à la grande honte de la bonne nature, qui n’avait pas pensé à leur donner ces formes raffinées. Les nymphes et les muses ornent la façade de chaque maison ou mirent leur visage de marbre dans l’eau trouble d’un étang. Cupidon apparaît au fond d’un bosquet, tenant son arc en main prêt à percer le cœur du premier bourgmestre qui passera par là, avec sa canne à pomme d’or et son habit à paillettes. Plus loin c’est la chaste Diane, dont les épaules nues grelottent huit mois de l’année sous un ciel pluvieux, et Vénus plus nue encore, dont le givre a flétri les traits, dont la gelée a disloqué les membres, et qui est devenue, par suite de ces malheurs, une divinité fort morale, car elle ôte à ceux qui la regardent l’envie de la suivre à Cythère. Toute la mythologie grecque, repoussée par le bon sens de Vondel, reparaît dans les livres, dans les peintures de plafonds, dans les madrigaux qu’un amant envoie à sa maîtresse, dans les conseils qu’un père donne à son fils. Vondel lui-même est banni de la scène comme un ignorant, et ses drames religieux sont remplacés par des pièces d’une galanterie achevée.

Que de tragédies imitées ou copiées servilement du français ! que d’épopées qui commencent par une invocation aux muses et se terminent par le triomphe d’un héros ! que d’idylles langoureuses où les moutons soupirent auprès d’un berger qui soupire encore plus fort qu’eux pour une cruelle Philis ! Pardonnez-moi, mes chers amis de Hollande, de traverser en toute hâte ce temps de froides et fausses contrefaçons. Je me sens saisi d’une indicible terreur rien qu’à voir l’énorme in-4o qui contient à peine les douze chants de Hoogvliet sur le patriarche Abraham, rien qu’à voir les descriptions de Mme de Mer-