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LA HOLLANDE.

naissance, sa carrière brillante, l’éloignaient cependant du peuple et de la bourgeoisie. Né en 1577 à Brouwershaven d’une famille patricienne, il fut envoyé à Orléans pour y terminer ses études en droit, et devint successivement pensionnaire de Middlebourg, ambassadeur en Angleterre et grand pensionnaire de Hollande ; mais dans l’exercice de ces hautes fonctions il conservait un sentiment poétique noble et touchant, et le soir, au sortir du conseil, après avoir traité avec les députés des provinces les affaires du pays, il écrivait une leçon de morale pour le peuple, une fable, un axiome plein de douce sagesse. À l’âge de soixante-quinze ans, il demanda à se démettre de ses emplois, et, lorsque le stathouder eut accédé à ses vœux, il se jeta à genoux au milieu de l’assemblée des états et remercia le ciel de l’avoir soutenu pendant sa longue et laborieuse carrière. Quelques jours après, il était à sa maison de campagne, heureux d’avoir fait son devoir, lisant, rêvant et tirant de chacune de ses lectures et de chacun de ses rêves quelque réflexion utile.

Il mourut en 1660, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. L’admiration des Hollandais pour lui est un trait de mœurs caractéristique. Qu’on se figure deux volumes in-folio serrés et compacts, remplis de quatrains, de fables sentencieuses, de madrigaux, qui, sous un voile mythologique, renferment un précepte de morale, de descriptions souvent très froides ; çà et là, des vers latins, des inscriptions, des idylles : ce sont les œuvres de Cats. En France, le plus intrépide lecteur reculerait devant un tel déluge de vers, et si nous essayions d’en traduire des fragmens, je crois qu’ils sembleraient bien fades au public qui a besoin de tant d’accens passionnés pour s’émouvoir. Mais les Hollandais aiment ces compositions didactiques et sérieuses, ces stances qui gravent dans leur souvenir une pensée utile, un dogme de la vie pratique. En Hollande, chacun lit les vers de Cats ; on les retrouve dans toutes les familles à côté de la Bible, on les apprend par cœur, et, lorsqu’on parle de lui, on ne l’appelle que le bon père Cats. Un écrivain hollandais a dit : « Les œuvres de Cats donnent la lumière à plus d’aveugles et font honte à plus de fous que celles de tous les poètes réunis. » C’est pousser l’admiration un peu loin ; ce qu’on peut louer sans crainte d’être démenti, c’est le sentiment d’honnêteté, de vertu, qui éclate à chaque page dans ces œuvres, la douce et sage morale qu’elles expriment, le bien-être que l’on éprouve à rechercher aux jours de doute et de tristesse les pieux enseignemens qu’elles renferment, et je le demande : y a-t-il une destinée de poète plus touchante que celle de l’homme qui, au bout de deux