Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/877

Cette page a été validée par deux contributeurs.
873
LA HOLLANDE.

pièces qu’il est difficile de mettre sur la scène, et qu’il faut lire dans une sorte de recueillement pour en comprendre l’imposant ensemble et les grandes et vraies beautés.

La vie de Vondel est une page de plus à ajouter à la douloureuse légende des hommes de génie. Son père était chapelier à Anvers et faisait partie de la secte des anabaptistes. Effrayé des rigueurs que les Espagnols exerçaient envers tous ceux qui ne professaient pas ouvertement le catholicisme, il quitta sa ville natale et se retira en Cologne. Ce fut là que naquit, en 1587, l’auteur de Lucifer. Quelques années après, la puissance de l’Espagne étant déjà contrebalancée par l’énergie des Hollandais, le chapelier d’Anvers crut pouvoir, sans trop de danger, retourner dans sa patrie. Il employa le peu d’argent qu’il possédait à louer une charrette pour porter son jeune enfant et son bagage. Lui-même marchait à pied avec sa femme, priant et récitant des versets de la Bible, et l’honnête charretier qui les conduisait, touché de leur douceur, de leur piété, du visage riant et candide de leur fils, les comparait naïvement à saint Joseph et à la Vierge emmenant l’enfant Jésus en Égypte[1].

De bonne heure, Vondel se distingua par ses dispositions littéraires. À l’âge de quinze ans, on le comptait déjà parmi les meilleurs poètes de la Hollande. Il fut admis, peu de temps après, dans la chambre de rhétorique d’Amsterdam, puis se maria, et, tout en étudiant les auteurs latins et français, fit le commerce de la bonneterie. Sa première tragédie, intitulée la Destruction de Jérusalem, date de 1620. C’était un essai timide et informe où brillait çà et là une lueur de vrai talent. Quelques années après, il en composa une autre qui produisit dans toute la Hollande une violente rumeur. Elle portait le nom de Palamède. C’était, sous un titre supposé, l’histoire touchante de ce noble et vertueux Olden Barneveld qui mourut victime de son patriotisme et de l’ambition de Maurice, prince d’Orange. Les amis de Maurice intentèrent un procès au poète. Il prit la fuite et s’en alla d’abord chercher un refuge chez son beau-père, qui, dans son effroi, refusa de le recevoir, puis chez d’autres parens, qui ne furent pas plus courageux. Enfin, il trouva un asile dans la demeure d’un de ses amis. Pendant ce temps, on agitait au tribunal la question de sa culpabilité. Un magistrat qui avait les mêmes opinions que lui représenta que le drame de Palamède n’était autre chose qu’une histoire grecque à laquelle le poète avait fait de légers changemens.

  1. Vondels Leven, van Brandt.