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en vient à parler de l’homme, son langage exprime l’admiration et l’envie. « J’ai vu, dit-il, le lion ramper aux pieds de son maître et le caresser ; devant lui, le tigre cessait d’être cruel, le taureau baissait humblement ses cornes, et l’éléphant sa trompe ; le griffon et l’aigle s’approchaient pour écouter les accens de l’homme, et avec eux venaient aussi le dragon, le béhémoth et le léviathan. Je ne parle pas des louanges que les oiseaux des bois donnent à l’homme dans les modulations harmonieuses de leurs chants, tandis que les soupirs du vent dans le feuillage et du ruisseau dans son lit bordé de fleurs forment une musique que l’oreille ne se lasse pas d’entendre.

« Jamais un habitant des régions célestes n’enchanta mes yeux comme les deux habitans de la terre. Dieu seul a pu joindre avec tant d’art l’ame et le corps et créer de doubles anges d’os et d’argile. La science du créateur se révèle dans la noble attitude de l’homme et brille surtout sur son visage, miroir de l’ame. Si chaque partie de son corps étonnait mes regards, celle-ci avait pour moi un charme inexprimable, car elle réunit toutes les beautés. Un esprit céleste éclate dans les yeux de l’homme, et l’immortalité resplendit sur sa face. Tandis que les animaux, muets et privés de raison, penchent leur tête vers la terre, lui seul élève fièrement la sienne vers le ciel, vers Dieu, qui lui a donné la vie, et dont il chante les louanges.

— Que pensez-vous, dit Belzébuth, de la femme sortie de ses flancs ?

— Hélas ! répond Apollion, quand je l’ai vue conduite par Adam sous le feuillage des arbres, j’ai de me deux ailes voilé mes yeux et mon visage pour comprimer ma pensée et vaincre mes désirs. De temps à autre, Adam s’arrêtait pour la contempler, et alors une flamme sainte s’allumait dans son cœur. Il embrassait son épouse, et tous deux célébraient leur hymen avec une ardeur et une félicité que vous pouvez deviner, mais que je ne puis dépeindre. Que la solitude est triste ! Nous ne connaissons pas l’union des sexes, l’alliance de la vierge et de l’époux. Hélas ! nous sommes mal partagés, nous ignorons les jouissances de l’hymen dans un ciel sans femmes !

Apollion parle ensuite de la beauté de la femme avec un tel ravissement, que Belzébuth s’écrie : « On dirait que vous brûlez d’amour pour elle ! »

— Qui, reprend le malheureux messager, j’y ai brûlé mes ailes. Ce n’est pas sans peine que j’ai pu me résoudre à quitter la terre pour remonter dans les régions célestes. En m’éloignant des lieux habités par l’homme, je les regrettais, et j’ai détourné la tête plus de trois