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leur érudition[1]. Ses Elzévir et ses Blauw se faisaient un nom classique dans les annales de l’imprimerie, et tandis que l’art exaltait le génie fécond de Rubens, la pensée mystérieuse de Rembrandt, la littérature, long-temps égarée dans de frivoles jeux de société, prit enfin son essor. Ce fut une de ces époques de gloire et de prospérité comme la providence en donne, à quelques siècles de distance, une ou deux aux peuples pour les fortifier aux heures de désastre par le souvenir de ce qu’ils ont été et le sentiment de ce qu’ils peuvent être encore.

Au commencement du XVIIe siècle, Hooft fit représenter la première pièce de théâtre à laquelle on pût sérieusement donner le nom de tragédie. Le sujet de cette pièce, qui avait pour titre Gérard de Velzen, était tiré d’une tradition hollandaise du moyen-âge ; la contexture des scènes, les détails, étaient empruntés à différens pays et à différentes époques. Il y avait là des chœurs comme dans le théâtre grec, des personnages allégoriques comme dans les représentations des clercs de la bazoche, et le style était parsemé d’une foule d’antithèses, de concetti, de tours de phrase galans, en un mot de toutes ces pointes de mauvais goût qui régnaient alors, et que Shakespeare et Calderon eux-mêmes ne surent pas éviter.

Dans sa jeunesse, Hooft avait voyagé en Italie. Il s’était passionné pour les bergeries qu’on écrivait alors dans le pays de Dante et le faux brillant de Marino. On sait ce que Boileau a dit à cet égard :

Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l’Italie en nos vers attirées ;
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
À ce nouvel appât courut avidement.

Cette invasion littéraire dont Boileau déplorait les suites, la Hollande la subit comme l’Allemagne, comme l’Europe entière. Hooft s’en revint dans sa bonne ville de Muyden, l’esprit ravi de toutes ces jolies bergères aux robes de gaze, aux doigts de rose, qui parlaient si coquettement des flèches de Cupidon et de son sourire perfide. Son premier essai fut une imitation servile de l’Aminte du Tasse, et du Pastor fido de Guarini. Les deux pièces qu’il écrivit ensuite, Gérard Velzen et Bato, étaient encore entachées du même

  1. Niebuhr dit dans son Histoire Romaine : « Après l’Italie et la Grèce, aucun lieu ne mérite plus la vénération de ceux qui aiment l’antiquité, que la salle de l’universé de Leyde, où les portraits des professeurs, depuis Scaliger jusqu’a Ruhnkenius, sont rangés autour de celui de Guillaume Ier.