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à devenir pluvieux au moment de mon départ ; au lieu d’une route sèche et facile, nous dûmes subir les ennuis d’une marche lente sur un terrain qui s’attachait aux roues de nos chariots. Les chevaux des postes, habitués à courir au galop d’un relais à l’autre, n’ont pas la force de surmonter les obstacles. Nous perdions des heures presque entières au passage de la moindre colline, et ce n’était qu’après beaucoup d’efforts et de cris que nos postillons parvenaient au sommet. Il fallut passer la nuit dans une mauvaise cabane qui sert de relais ; le toit pouvait à peine nous garantir de la pluie, qui ne cessa de tomber ; aussi attendîmes-nous le jour avec toute la résignation qu’il faut apporter en voyage.

La route, toujours aussi monotone, devenait de plus en plus difficile pour les chevaux ; je traversai Marasie, village aujourd’hui abandonné ; j’y remarquai une belle fontaine, un ancien palais qui pouvait plutôt passer pour une bonne forteresse que pour une demeure agréable. Le grand nombre des ruines indiquait que Marasie avait eu jadis une certaine importance. Je ne pus apprendre à quelle époque remontait l’abandon de ce village ; on m’assura seulement que, long-temps avant les dernières guerres contre la Perse, Marasie offrait déjà le même aspect désolé. La vallée qui environne le village est d’une grande fertilité, mais manque entièrement de population.

Avant d’entrer à Choumakhie, il nous fallut passer à gué le Pirsagat, gonflé par les dernières pluies ; ce ne fut qu’en jetant nos chevaux à la nage que nous pûmes arriver sur l’autre rive. Nous n’étions pourtant qu’à peu de distance d’une ville commerçante et peuplée, mais nul ici ne s’occupe des routes dans l’intérêt de la circulation ; on pense seulement à faire arriver des canons dans les montagnes les plus élevées.

Choumakie, résidence d’un commandant russe et capitale du Chirvan, est une des villes les plus remarquables de la Géorgie ; elle doit cette importance à ses fabriques d’armes et de soie. Les relations de Choumakhie avec la Perse ne subsistent qu’au moyen d’une contrebande très active. Les employés russes chargés de la ligne des douanes, plutôt que de défendre les intérêts d’un gouvernement qui ne leur donne pas les moyens de vivre du produit de leur place, accordent des facilités aux contrebandiers qui paient leur connivence. Les étoffes de soie qui se fabriquent à Choumakhie sont appelées khanaos, elles ont quelque ressemblance avec notre gros de Naples ; le tissu, inégal, n’a ni la souplesse, ni le brillant des nôtres ; presque toutes ces étoffes sont à carreaux ou unies ; les dessins comme les