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RÉCEPTION DE M. VICTOR HUGO.

un moyen de donner plus de piquant et d’attraits aux séances de réception. À un spectacle un peu ridicule et suranné, ils en ont substitué un qui paraît fort du goût du public, mais dont on pourrait contester la convenance. On n’a pas encore, il est vrai, renoncé a s’adresser des louanges en face ; mais ce sont des louanges crêtées et éperonnées pour le combat, des louanges aiguisées en flèches. On échange encore des complimens ; mais ce sont des complimens qui laissent apercevoir de longues griffes sous leur velours. Pour peu que ce système de guerre couverte et de politesse armée se perfectionne, la salle du palais des Quatre-Nations se changera bientôt en une arène : une séance de réception à l’Académie française ressemblera, à s’y méprendre, à la scène d’Arsinoé et de Célimène.

M. de Salvandy, qui faisait son début dans ce genre d’escrime, a enchéri sur tout ce que nous avons entendu de plus vif en ce genre. Il était difficile, en effet, que, selon l’usage, il n’exagérât pas quelque peu ses modèles. Plus il avançait, plus il s’animait, plus il supprimait les adoucissemens et les précautions oratoires ; plus il laissait se produire la critique sincère et crue. Le discours de M. de Salvandy, spirituel, incisif, brillant de pensées, serait, au point de vue de ses opinions, que nous ne partageons pas, un excellent morceau de critique libre et individuelle ; mais du haut du fauteuil du président, il a pu sembler n’être pas suffisamment réservé et sobre.

M. de Salvandy a de plus introduit une innovation que nous regretterions fort, pour notre part, de voir s’établir comme un précédent. Il ne s’est pas contenté de controverser, selon l’usage, quelques points de la harangue qu’on venait d’entendre. Il a tenu à faire de ce discours tout entier une réfutation complète et suivie ; il l’a repris par paragraphe, ne laissant pas échapper sans contradiction la pensée la plus simple ni l’anecdote la plus indifférente. Cette négation universelle, ce blâme de parti pris, cet écho contradicteur, qui donnait aux habitués des chambres l’idée d’une réponse à un discours du trône faite par une majorité d’opposition, toute cette petite guerre, qui d’abord avait vivement éveillé l’attention, a fini par paraître un peu prolongée : l’orateur a dû faire quelques coupures et les a exécutées, séance tenante, avec un remarquable à-propos.

Le seul éloge que M. de Salvandy ait accordé au génie de M. Victor Hugo s’est adressé à ses facultés lyriques. Il veut bien admettre son nouveau confrère dans cette triade poétique qu’il compose de M. Casimir Delavigne et de M. de Lamartine, et dans laquelle la France a