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avec de telles liaisons arriver à tout, et qui, par une héroïque fidélité à ses principes, devint et demeura un des plus âpres et des plus constans adversaires du grand homme, qu’au fond du cœur il aima toujours, et dont il disait à la fin de sa vie : « Mon ami le premier consul ! »

Cette manière de concevoir l’éloge de Lemercier une fois admise, il faut convenir que c’était un beau sujet et même un des plus beaux sujets littéraires possibles, que cette glorification de la puissance des lettres, seule résistance que le régime impérial n’ait pu amortir ni briser. M. Victor Hugo semble avoir eu la pensée d’agrandir encore ce cadre. Il était attiré vivement par ce noble et beau problème : déterminer l’attitude que doit garder la littérature vis-à-vis de la société, selon les temps, les lieux et les institutions. Mais il y avait là les élémens d’un livre ; les bornes d’un discours n’y suffisaient pas. Nous ne possédons de ce plan regrettable qu’un long et magnifique exorde, peu en proportion avec les dimensions restreintes d’un remerciement académique, mais qui aurait été le digne péristyle du Panthéon que l’auteur projetait d’élever à l’héroïsme littéraire. La disposition singulière de ce morceau, beaucoup plus lyrique qu’oratoire, n’en a point affaibli l’effet sur l’assemblée. Quand, après avoir déroulé avec une savante lenteur le tableau le plus complet et le plus splendide, le plus minutieux et le plus oriental, que l’on puisse tracer de la gigantesque fortune de Napoléon, M. Victor Hugo a montré, seuls en révolte contre cette volonté n’ayant d’autres armes que la conscience et la pensée, Ducis, Delille, Mme de Staël, Benjamin Constant, Châteaubriand, Lemercier, une immense acclamation a couvert ces noms glorieux et salué la noble et généreuse parole de l’auteur.

Quoique le caractère inattendu de cette nouvelle production de M. Victor Hugo ait un peu déconcerté ses amis et ses ennemis, elle a pourtant, et l’on s’en aperçoit, surtout à la lecture, toutes les qualités excellentes, et quelques-uns aussi des défauts réels, qu’on déplore et qu’on admire dans les autres écrits de l’auteur. C’est toujours un casque étincelant, une cuirasse finement et richement ouvragée, un gantelet d’une admirable ciselure. Nous ne dirons pas, avec les détracteurs du grand écrivain, qu’il manque sous ce casque une pensée, une poitrine sous cette cotte de mailles, une main sous ce gantelet. À Dieu ne plaise ! Mais nous dirons, parce que nous l’avons expérimenté, qu’entre l’homme et l’armure il y