Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
LES PROVINCES DU CAUCASE.

s’appelle Spmala. Je m’attendais à trouver des fanatiques dangereux dans ces hommes qui depuis quinze à seize ans habitent ce monastère ; ils me parurent au contraire d’un caractère très doux. Presque tous portent sur leur front une marque de couleur orange qu’ils se font avec une pierre venant des Indes. Leur grand-prêtre est habillé d’une étoffe orange, sa tête est couverte du bonnet indien de forme conique.

Le grand-prêtre me raconta les longues persécutions que les Persans leur avaient fait éprouver. Les troupes persanes, s’étant emparées de Bakou, en 1826, vinrent piller le monastère d’Atesch-Gah, et brûlèrent tous les livres qui y étaient conservés. Une semblable destruction est une perte réelle pour la science, car tous les livres sanscrits qui se rattachent à l’adoration du feu se trouvaient depuis des siècles réunis dans ce monastère. Le grand-prêtre se plaignait du petit nombre de visiteurs croyans qui se rendent à son couvent ; il y avait trois ans qu’il n’en était venu un seul. Nous vîmes tout autour du monastère des fours à chaux ; les habitans apportent les pierres qu’ils veulent faire cuire et construisent une espèce de four dans lequel ils les déposent. Il suffit alors d’une étincelle pour allumer un feu d’une force telle que les pierres sont cuites dans un espace de six à huit heures ; il faut trois jours pour cuire la chaux dans nos fours les mieux disposés. Nous fîmes boucher l’entrée d’un puits qui se trouve au milieu du jardin des Guèbres. Après quelques instans, on y lança un brandon allumé qui produisit une explosion presque semblable à un coup de canon. — La nuit était complètement tombée quand je me retirai du monastère d’Atesch-Gah. Nous pûmes jouir de l’effet des fours à chaux qui se trouvent aux alentours du monastère. Les conduits de flamme qui s’élevaient du clocher donnaient au couvent l’aspect d’une vaste usine. Des cavaliers nous escortèrent, portant d’énormes flambeaux ou machalls, formés de morceaux de toile imprégnés de naphte, qui jetaient sur la route que nous parcourûmes pour retourner à Bakou une clarté presque féerique. — Nous avions pu juger par nous-mêmes un phénomène atmosphérique des plus curieux, et les souvenirs que réveille le couvent d’Atesch-Gah avaient ajouté un nouvel intérêt à notre excursion : nous venions de voir les faibles débris d’une secte religieuse qui, jadis dominant en Orient, excite aujourd’hui encore en Europe l’attention de tous les esprits préoccupés de connaître les premiers pas de la philosophie.

Le temps, toujours orageux pendant mon séjour à Bakou, commença