Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/848

Cette page a été validée par deux contributeurs.
844
REVUE DES DEUX MONDES.

et le système d’hérédité de branche à branche, pour établir son droit à un siége au Luxembourg, ou pour lever les yeux jusqu’au ministère de l’instruction publique. Je crois donc que, s’il s’est refusé à venir proclamer ses convictions littéraires dans l’éloge de M. Lemercier, s’il a pris un chemin de traverse, et si, contre toutes ses habitudes de stratégie franche et directe, il a, dans cette circonstance, plutôt tourné qu’enlevé la position, c’est tout simplement qu’un sentiment honorable de délicatesse et de bienséance lui a défendu d’entrer dans un sujet où, à moins de rester superficiel, et par conséquent indigne de l’Académie et de lui-même, il lui aurait fallu manquer à la mémoire qui lui était confiée, ou déserter ses opinions et tirer contre son drapeau.

Voyez, en effet, était-il possible que M. Hugo entreprît une appréciation franche et complète de l’œuvre poétique si embrouillé et si complexe de M. Lemercier, sans poser, tout d’abord, une question capitale, terrible, inexorable, la question des bonnes et des mauvaises innovations en poésie ? Eh bien ! entamer cette controverse, c’était agiter de nouveau le problème qui divise la littérature depuis le commencement du siècle, et qui a reçu, vers 1820, une solution toute contraire à celle que M. Lemercier a poursuivie obstinément toute sa vie. M. Victor Hugo, réformateur triomphant, porté à l’Académie sur les bras de la foule, pouvait-il, sans la plus grave inconvenance, venir protester à son prédécesseur ses tentatives restées sans écho et ses innovations inacceptées ? Pouvait-il venir expliquer en quoi le réformateur de 1802 a eu tort, et en quoi, suivant lui, la réforme de 1802 a eu raison ? — Non, non. — Ce n’est qu’à nous, si complètement en dehors de ce grand débat, qu’il peut être permis d’indiquer (et encore très sommairement), pourquoi des douze comédies, des dix poèmes, des quatorze tragédies de M. Lemercier, il ne surnage aujourd’hui que quelques noms. Esprit sagace et indépendant, M. Lemercier a senti, dès 1795, que le contre-coup d’une révolution dans l’état doit être une révolution dans la littérature. Philosophe selon Voltaire, il s’est aperçu qu’il était temps de suivre en poésie une autre loi. Sa vive et prompte intelligence l’avertit que les compositions si sèches, si décolorées, si dépourvues de toute imagination, qu’on recevait encore avec faveur en 1788, ne pouvaient plus causer qu’un insupportable ennui à un peuple qui avait retrouvé le mouvement et l’action, et qui, par l’action, remontait au sentiment vrai de la poésie. Sur le théâtre d’une nation, hier encore oppressée par le démon de la terreur, et qui, à peine délivrée de ce