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RÉCEPTION DE M. VICTOR HUGO.

de s’effacer et de se perdre dans une plus large formule ; on était curieux d’entendre les paroles amies qu’allaient échanger les deux formidables interlocuteurs. Chacun rêvait à sa manière cet étrange et merveilleux dialogue. On se figurait une autre conférence de Tilsitt où, cette fois, il y aurait un vainqueur et pas de vaincu, et où deux idées souveraines allaient se partager le monde de l’intelligence.

Par une coïncidence qui semblait heureuse, l’illustre académicien dont la vie et les ouvrages devaient servir de texte aux deux harangues, Népomucène Lemercier, se rattachait par ses aventureux essais de poète à l’école réformatrice, tandis que, par ses restrictives et souvent judicieuses opinions de critique, il appartenait à la phalange des conservateurs : beau champ de bataille assurément, terrain neutre s’il en fut jamais, où semblait pouvoir se déployer à l’aise, de part et d’autre, tout ce qu’il y a de vérités acquises et de prétentions légitimes dans les deux théories adverses. On espérait donc, dans cette mémorable séance, s’abreuver largement aux sources jaillissantes de la littérature et de la poésie, entendre discuter les maîtres et sortir de ce tournoi intellectuel l’esprit mieux affermi dans l’une ou l’autre croyance. Il semblait en effet que ce dût être un bien grand jour dans les fastes de la poésie que celui où la tradition et la réforme, mises en présence, seraient amenées à dire chacune son dernier mot sur elle-même, devant l’ombre apaisée de l’auteur d’Agamemnon, de Christophe Colomb et de Pinto.

Hélas ! cette attente a été trompée. Aucune question de théorie littéraire n’a été posée, aucun problème n’a été débattu. Napoléon, à qui personne pourtant ne succédait, Mirabeau et Danton, Malesherbes et Sieyès, voilà les seuls noms qui aient été sérieusement discutés. On se demandait tout bas si c’étaient des littérateurs et des poètes qui parlaient des choses de l’art, ou des pairs et des hommes d’état qui discutaient des matières politiques ; on s’est pris à douter si on louait un écrivain célèbre, ou si ce n’était pas plutôt un successeur de Lamoignon ou de Turgot dont on appréciait la carrière ; on ne savait pas bien au juste si l’on se trouvait assis dans le sanctuaire des lettres, ou si l’on ne s’était pas, par hasard, fourvoyé dans une enceinte législative.

L’assemblée (et cela fait honneur à ses instincts poétiques) n’a accepté qu’avec un sentiment marqué de surprise et de mécompte ce renversement du programme. « Avec M. Victor Hugo, on doit toujours s’attendre à de l’imprévu, » avait dit un homme d’esprit la