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DE L’ARIANISME.

la théologie était encore puissante, et l’autorité dont elle jouissait devait contraindre à des ménagemens et à des détours jusqu’à l’homme qui a poussé si loin l’essor et l’audace de la pensée. Spinosa a tout mesuré de l’œil ; il a construit un système qui est le reflet idéal et complet de l’universalité des choses : Dieu, la religion, l’homme, l’histoire, l’intelligence, la volonté, les passions, les principes éternels, les accidens éphémères, voilà le contenu de la pensée du philosophe. La raison est la source souveraine de toutes choses : révélations, religions, prophéties, tout s’explique par elle. Mais comment le sage d’Amsterdam, quel que soit son courage, osera-t-il produire sa doctrine ? C’est ici qu’il faut bien comprendre l’industrie de sa méthode. Cette théologie qu’il frappe au cœur, il la déclare respectable et sacrée ; seulement il demande la permission de mettre à côté d’elle la philosophie, mais sans jamais les confondre. Séparer la philosophie de la religion, voilà mon but, dit Spinosa : …… Scopum ad quem intendo, nempè ad separandam philosophiam à theologia[1]. Il s’exprime encore d’une autre manière ; ni la théologie ne doit être la servante de la raison, ni la raison servante de la théologie : Nec theologiam rationi, nec rationem theologiæ ancillari[2]. Voilà donc deux domaines, deux principes bien distincts : Spinosa fait le partage entre la raison et la foi. Dans le domaine de la foi, il faut mettre les croyances sans lesquelles on n’obéirait pas à Dieu, et qui impliquent tout ensemble l’obéissance à Dieu et une créance entière à elles-mêmes[3]. Mais la philosophie se propose un autre but, elle aspire à la conquête de la vérité, à la certitude, et elle ne peut les demander qu’à la raison[4] ? Ainsi donc la piété est le lot de la théologie, tandis que le vrai appartient à la philosophie. Il y avait autant de prudence que d’ironie dans cette distinction. Apparemment Spinosa n’ignorait pas que la nature des choses ne se laisse pas ainsi arbitrairement scinder : ne dit-il pas quelque part que la vertu dépend des lois de la raison[5] ? Si l’on pouvait conserver encore quel-

  1. Tractatus theologico-politicus, cap. 2.
  2. Ibid., cap. 15.
  3. « Nempè quod nihil aliud sit (fides), quam de Deo talia sentire, quibus ignoratis tollitur erga Deum obedientia, et hac obedientia posita, necessariò ponuntur. » (Tract. theolog.-polit., cap. 14.)
  4. « De veritate autem et certitudine rerum quæ solius sunt speculationis, nullus spiritus testimonium dat præter rationem, quæ sola, ut jam ostendimus, veritatis regnum sibi vindicavit. » (Ibid., cap. 15.)
  5. « Quæ mihi cum ratione convenire videntur, eadem ad virtutem maxime utilia esse credo. » (Epist. 19.)