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DE L’ARIANISME.

tures doivent continuer à les croire, mais ils ne doivent pas damner ceux qui ne les y voient point. — Telle était la transaction qu’offrait Locke à toutes les sectes : c’était, suivant les expressions d’un critique du temps, « un moyen aisé et infaillible de réunir tous les chrétiens, et d’éteindre à jamais leurs animosités, malgré la différence de leurs opinions. » C’est ainsi qu’à la fureur de se combattre et à la manie de se diviser succédait le désir général d’une fusion où chaque parti était invité à jeter en sacrifice ce qui avait été long-temps l’objet de ses prédilections les plus intolérantes.

Locke ne réussit pas à sceller cette réconciliation chimérique entre les différentes sectes qui se partageaient le christianisme ; mais l’action qu’il exerça n’en fut pas moins puissante dans un autre sens, car il opéra la transition entre l’époque des controverses théologiques et le règne de la philosophie. Vers la fin du XVIIe siècle, entre Bossuet et Voltaire, le célèbre professeur d’Oxford, à la fois chrétien et philosophe, préparait les triomphes du rationalisme. Après lui, l’empire passe ouvertement des théologiens aux penseurs. Il n’y a plus d’hérésies, car l’esprit humain n’a pas besoin de ces détours ; il parle en son propre nom. Toutefois, dans cette expansion des idées et des principes du rationalisme, on peut saisir encore la trace des causes et des antécédens historiques. C’est un enfant de la réforme, c’est un calviniste, c’est un Genevois qui donna une expression populaire et passionnée aux sentimens de Fauste Socin et de Locke, dans la Profession de foi du Vicaire savoyard. La réforme devait aussi, dans un autre hémisphère, aboutir au rationalisme le plus absolu. On n’ignore pas combien dans les États-Unis, au milieu des différentes sectes chrétiennes, celle des unitaires est prépondérante. Voici comment Jefferson, dont l’illustration politique ne le cède qu’à la gloire de Washington, s’exprimait sur le caractère du fondateur du christianisme : « Il faut défendre le caractère de Jésus contre les fictions de ses faux disciples qui l’ont exposé à passer pour un imposteur. En effet, s’il était possible de croire qu’il eût réellement autorisé les folies, les impostures, les actes de charlatanisme que ses biographes lui imputent, s’il fallait admettre les fausses interprétations, les interpolations, les théories mystiques des pères des premiers siècles et des fanatiques des siècles suivans, tout esprit sensé serait irrésistiblement conduit à cette conclusion, que Jésus n’était qu’un imposteur. Je n’ajoute aucune foi aux falsifications qu’ils ont commises sur son histoire et sur sa doctrine, et, pour mettre sa réputation hors d’atteinte, je ne demande que la même précaution que