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maisons d’Alexandrie, et répandait ses opinions dans des entretiens familiers. Sur les places publiques, on voyait les partisans d’Arius interroger les femmes et les jeunes gens. Ils disaient aux femmes : « Aviez-vous un fils avant d’en avoir mis un au monde ? Vous n’en aviez pas ; Dieu n’en avait pas non plus avant d’avoir engendré. » Aux jeunes gens ils adressaient ces questions : « Celui qui a l’être a-t-il fait celui qui n’est pas ou celui qui est ? L’a-t-il fait comme un qui était déjà, ou comme un qui n’était pas ? Y a-t-il un incréé, ou deux ? » On sent tout ce que cette ironie, empruntée aux formes de la sagesse socratique et du dialogue athénien, avait de mordant, de cruel et de funeste à la simplicité de la foi chrétienne. Les mystères se trouvaient attaqués par le bon sens se traduisant en railleries. Tout éclatait à la fois, les révoltes incurables de l’esprit humain contre ce qui est incompréhensible, et les dernières conséquences du platonisme long-temps opprimé par l’orthodoxie. Mœhler dit que, tout en admettant que la doctrine arienne s’accorde avec celle de Platon sur la trinité, il ne suffit pas, pour expliquer l’apparition de l’arianisme, de dire qu’il a été créé par les idées de Platon. Nous en tombons d’accord : les dispositions inhérentes à la nature humaine durent compter pour beaucoup dans le succès d’Arius. Que d’esprits furent charmés d’échapper à l’obligation de croire à des mystères qui leur répugnaient, tout en restant dans le sein de la religion nouvelle ! Tous les instincts et toutes les sympathies rationalistes accueillirent avidement une hérésie qui les satisfaisait. Toutefois, en considérant les causes de la propagation rapide des principes de l’auteur de la Thalie, il faut maintenir la juste influence du platonisme, qui était à la fois l’origine et le ferme appui des opinions d’Arius. C’était une force immense pour les ardens disciples de l’hérésiarque, c’était pour les prosélytes qu’il faisait un encouragement notable de savoir que des doctrines si séduisantes avaient pour garant le plus profond interprète de la philosophie, et que les matelots du port d’Alexandrie pensaient comme Platon.

Athanase n’occupait pas encore le siége épiscopal d’Alexandrie quand les doctrines d’Arius commencèrent à se répandre. Ce fut l’évêque Alexandre qui, dès l’année 320, dut s’élever contre les opinions et contre les succès du prêtre libyen. Il écrivit plusieurs lettres à Arius ; il convoqua un concile composé des évêques suffragans d’Alexandrie ; mais devant cette assemblée Arius resta ferme et profita de l’occasion pour tracer de ses sentimens un exposé lucide. Alexandre et ses suffragans l’exclurent de la communion de l’église.