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de l’idéalisme, et, comme Justin le martyr, il portait encore au pied de la croix le manteau de philosophe. Pour peu qu’on ait étudié les rapports de la sagesse antique avec l’église naissante, on n’ignore pas que Clément d’Alexandrie enseignait que la philosophie prédispose à la foi, et qu’elle devait servir aux Grecs pour les préparer à l’Évangile, comme la loi avait servi aux Hébreux. Mais c’est surtout dans les écrits de son disciple Origène que les idées et les formules philosophiques triomphent au point de déborder la religion elle-même. Pourquoi Mœhler s’épuise-t-il en efforts ingénieux pour défendre l’orthodoxie d’Origène, dont l’église catholique a souvent condamné les écarts ? Au commencement du dernier siècle, un écrivain qui en pareille matière ne saurait être suspect, un jésuite, le père Doucin, dans une Histoire des Mouvemens arrivés dans l’Église au sujet d’Origène et de sa doctrine, a confessé qu’Origène est tombé dans un nombre prodigieux d’hérésies ; il ajoutait que, s’il y est tombé, c’est qu’il voulait sauver de l’insulte des païens les vérités du christianisme, et les rendre même croyables aux philosophes, tant Origène était convaincu que, s’il parvenait à gagner ceux-ci, il convertirait l’univers. Le père jésuite avait raison : c’est, en effet, pour répondre aux païens qui, par l’organe de Celse, reprochaient aux chrétiens la déification du Christ, qu’Origène s’attachait à distinguer Jésus de Dieu le père, et à le représenter comme tenant un milieu entre ce qui est créé et ce qui ne l’est pas. Selon Origène, Jésus-Christ ne vient que le second dans la hiérarchie divine, il nous transmet les effets de la bonté du père, et lui porte comme un prêtre nos prières et nos vœux. Quant au Saint-Esprit, c’était, aux yeux d’Origène, la première et la plus excellente création du fils. Le disciple de Clément d’Alexandrie concevait donc trois degrés dans la Divinité.

Les célèbres passages d’Origène sur lesquels s’est exercée la controverse depuis saint Jérôme jusqu’à Strauss, seraient moins explicites, que le sens en serait clairement indiqué par tout ce qui s’est passé au sein de l’église pendant le quatrième siècle. Comment l’explosion de l’arianisme eût-elle été si vive, si générale, et un instant si triomphante, si cette doctrine n’eût pas depuis long-temps germé dans beaucoup d’esprits, même à leur insu ? Suivons l’enchaînement des choses. À côté de la croyance pure et naïve à la divinité du Christ, à son égalité avec le père, les habitudes philosophiques de beaucoup d’hommes du monde et de lettrés qui avaient embrassé la religion nouvelle, avaient enveloppé la parole de l’Évangile de commentaires compliqués et dangereux. Disciple d’un maître profond,